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romaine qui va s’évanouir, et contempler, dans la pureté que son isolement lui avait conservée, une belle et noble race qui va se disperser.

Ce qu’Arles a de plus remarquable, ce n’est ni son hôtel de ville, bâti par Mansard, ni son portail et son cloître de Saint-Trophime, chefs-d’œuvre du XIIIe siècle, ni son buste de Livie, qui vaut à lui seul tout un musée, ni ses Aliscamps (Elysii camps), où se pressent les tombes romaines[1] ; ce n’est ni son théâtre antique, où s’assirent tant de personnages consulaires, ni même son cirque, plus grand et mieux conservé que celui de Nîmes[2]. On trouve ailleurs d’aussi précieux monumens des arts ; mais ce qu’aucune ville, à commencer par Paris, ne peut disputer à Arles, c’est la beauté, c’est la grace héréditaire de ses filles.

D’où leur viennent ces tailles droites et flexibles, cet aplomb gracieux de tous les membres, cette coupe harmonieuse du visage, cette finesse des cheveux et de la peau, en un mot cette distinction de race qui manque à tant d’illustres familles ? Les savans ont compulsé sur cet attrayant sujet bien des textes ; ils ont beaucoup disserté de l’origine de cette population si distincte de celles qui l’entourent, et, sur les noms consignés dans son histoire, la plupart l’ont jugée romaine. Ces noms appartenaient à une aristocratie conquérante, et, de ce qu’ils étaient latins, il ne s’ensuit pas que le peuple le fût aussi. Quand la domination romaine s’étendit sur ce territoire, Arles était une colonie de Marseille, d’origine grecque par conséquent, et Rome avait alors plus besoin de garnir ses murs et ses armées de la population des provinces conquises, qu’elle n’était en état de leur céder de la sienne. Elle leur envoyait, avec ses lois, des gouverneurs, des patriciens, des légions mêmes[3] ; mais la masse des gouvernés restait ce qu’elle était, et rien, dans sa nationalité, n’était changé que le nom. Si d’ailleurs, depuis deux mille ans, le peuple d’Arles s’est conservé si différent des populations qui le touchent, comment admettre qu’il se soit renouvelé pendant qu’une domination étrangère passait sur lui ? Ses caractères physiques fournissent peut-être sur son origine de plus sûres indications que les livres : les jambes nerveuses du coursier arabe témoignent de sa noblesse bien mieux que la généalogie qu’il porte suspendue à son poitrail. A considérer ainsi le peuple d’Arles, on lui trouve peu d’analogie avec les Italiens aborigènes :

  1. Siccome ad Arli, ove ’l Rodano stagna,
    Fanno i sepolcri tutto ’l loto varo…
    DANTE, Inferno, c. IX.
  2. Le grand axe a 140 mètres, le petit 103 ; les arcades sont au nombre de 60, et 25,000 spectateurs peuvent tenir sur les assises ; c’est le double de la population actuelle de la ville.
  3. La 6e légion était établie à Arles (C. Plin., v. 4.) ; mais peut-être était-elle de celles qui ne possédaient pas un seul soldat qui fût Romain de naissance.
    La ville d’Arles fit, en 1683, hommage de sa Vénus à Louis XIV ; il la fit placer à Versailles, d’où elle est venue au Louvre. La ville n’en possède qu’un mauvais plâtre, en attendant le bronze que lui devrait la direction des beaux-arts.