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mentionner son langage sur la solution qu’a reçue la question espagnole. Il a déclaré que cette solution était telle qu’il l’avait voulue depuis plusieurs années. Enfin M. Berryer a reconnu que, par les mariages conclus le 28 août dernier à Madrid, le gouvernement français avait fait une chose nécessaire, indispensable à notre sécurité et à nos intérêts. L’exemple de M. le duc de Noailles n’a pas été perdu pour L’orateur légitimiste du Palais-Bourbon. Cette conformité de sentimens sur le fond des choses fait pressentir ce qu’eût pensé le pays, ce qu’eussent dit ses représentans, si la question espagnole eût abouti à un autre dénoûment. La situation actuelle est sérieuse et difficile, mais elle serait bien autrement grave, si la politique française eût essuyé à Madrid un échec qui eût ébranlé l’autorité morale du gouvernement de 1830.

On n’a pu éviter cet échec qu’en compromettant l’alliance anglaise. C’est sur cet inconvénient regrettable et fâcheux que M. Thiers a porté tout l’effort de sa démonstration. Dans un immense discours, l’honorable chef du centre gauche a constamment captivé la chambre non-seulement par ses aperçus ingénieux, par la lucidité de ses développemens, mais par la modération de son langage. Cette modération ne nous a point surpris, car elle est une des qualités inséparables d’un talent supérieur. Quand on a vécu dans la pratique des plus grandes affaires, quand on a pris l’habitude de se reposer des luttes politiques par les travaux de l’histoire, comment ne serait-on pas modéré ? C’est d’ailleurs un moyen de donner plus de relief à la franchise des opinions, à la fermeté des vues. Voici la pensée fondamentale de M. Thiers. L’alliance anglaise est la vraie politique de notre temps, parce qu’elle a un grand but : la liberté des peuples et l’indépendance de tous les états de l’Europe. La France ne doit plus se proposer la propagande et la conquête, mais la protection éclairée de la liberté européenne, et c’est seulement avec l’Angleterre qu’elle peut marcher à ce résultat. Sur le fond même de ces idées élevées et généreuses, il ne saurait guère y avoir de contestation ; mais dans la pratique les difficultés abondent. Il s’agit de savoir si, notamment dans la dernière affaire importante où l’Angleterre et la France devaient agir de concert, celle-ci n’a pas été au moment de voir ses plus légitimes prétentions méconnues et sa juste influence annulée. C’est sur ce point de fait que M. Guizot a insisté dans sa réponse.

Si la politique a ses misères, elle reprend toute sa grandeur dans ces luttes solennelles où deux talens de premier ordre, tout ensemble égaux et divers, épuisent l’un contre l’autre toutes leurs ressources. M. Thiers avait déployé un immense front de bataille ; sa puissance était dans l’étendue. M. Guizot s’est bien gardé de chercher à embrasser toutes les questions touchées par son antagoniste ; il a trouvé sa force dans la concentration. Les conséquences des événemens qui se sont accomplis en Espagne depuis le mois d’août dernier sont assez graves pour que la France ait besoin d’être bien convaincue que tout ce qui s’est fait était nécessaire, inévitable. Aussi M. le ministre des affaires étrangères s’est surtout attaché à démontrer à la chambre, et il y a réussi, qu’aussitôt lord Palmerston revenu au pouvoir, d’autres intentions, d’autres vues, avaient dirigé la politique anglaise dans les affaires d’Espagne. Nous n’ignorons pas qu’on persiste à soutenir à Londres que lord Palmerston n’avait véritablement pas cette fois le dessein de jouer la France ; il faut avouer alors qu’il a été singulièrement malhabile, car il s’est donné toutes les apparences d’un pareil projet sans en