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sa propre vie, elle eut à lutter contre l’alliance formée en haine de sa résurrection tant redoutée. Après lui avoir imposé la guerre d’Espagne en 1823, l’Europe s’efforça de lui arracher tous les profits de cette expédition, car ceux-ci étaient grands au point de vue militaire et politique. Plus tard, dans les affaires de Grèce, la France rencontra, de la part des grandes cours, des difficultés également inspirées par une appréhension commune ; en ce qui se rapporte à l’Angleterre en particulier, personne n’ignore que, dominé dès cette époque par la pensée qu’il poursuit : aujourd’hui au-delà des Pyrénées comme en Afrique, le cabinet de Londres prit de menaçantes réserves, lorsque la France entra en Espagne aussi bien que lorsqu’elle descendit sur le rivage d’Alger. Il n’y a donc rien de nouveau dans le mouvement général de la politique européenne, et ce ne sont pas les révolutions qui l’ont suscité.

La restauration avait, il est vrai, une chance perdue pour le gouvernement qui l’a remplacée ; elle pouvait espérer de s’unir à la Russie, et, quoique cette alliance n’ait jamais existé qu’en projet, elle était de nature à se réaliser un jour et à influer d’une manière considérable sur les destinées du monde. Cette association d’intérêts était en effet très naturelle, car de toutes les grandes puissances la Russie est celle qui attend le plus de l’avenir, et dont les espérances dépassent le plus constamment les stipulations actuelles des traités. Il était donc naturel qu’aspirant à s’étendre sur le Bosphore, elle laissât entrevoir à la France la perspective d’un agrandissement sur le Rhin, et il n’y avait pas à s’étonner si les développemens possibles de celle-ci inspiraient à Pétersbourg des appréhensions beaucoup moins vives qu’à Vienne et à Berlin.

C’était par ces motifs qu’une alliance franco-russe paraissait alors, chose naturelle ; mais, depuis cette époque, il s’est passé un fait qui a dérangé toutes ces combinaisons, et qui a dû peser près du cabinet impérial d’un poids beaucoup plus lourd que ne peut l’être à ses yeux la substitution d’une branche régnante à une autre. En 1831, la Pologne a soulevé la pierre de son sépulcre, et ses spoliateurs ont entendu retentir à leurs oreilles la parole dite à la jeune fille ressuscitée : Non, mortua est, sed dormit. Vainement a-t-elle été refoulée une fois de plus dans sa tombe : la certitude que la Pologne n’est point morte est entrée dans tous les esprits ; cette conviction générale a modifié pour de longues années la politique européenne et rendu toute intimité impossible entre la Russie et la France. Si, durant la restauration, on songeait sérieusement, à Pétersbourg, à réaliser les projets de Catherine II, il a fallu, depuis la formidable guerre de Pologne, abandonner ce point pour poursuivre un objet plus important encore. On a dû ajourner Constantinople pour s’occuper de Varsovie, car ce n’est pas quand on se sent si gravement menacé en Europe qu’on peut songer à se porter vers l’Asie.