Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/753

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas dire les seules du temps, nous étions donc déjà contraints de marcher seuls, sous peine d’abdiquer les intérêts nationaux, et l’alliance ne consistait guère qu’à masquer par de bons procédés ce désaccord profond. Suppléer par des mots calculés à la réalité des choses, tel fut ce labeur utile sans doute devant l’Europe, à laquelle il imposait des ménagemens, mais qui n’était pas sans inconvénient devant la France, dont le sens droit et l’oreille juste étaient froissés par un défaut de diapason entre la politique et le langage.

En Syrie, nous aspirons à maintenir dans sa nationalité et dans ses croyances une population que les agens de l’Angleterre ont traitée en ennemie ; en Grèce, nous entendons compléter l’œuvre à laquelle, depuis la guerre de l’indépendance, le cabinet anglais ne s’est jamais associé qu’à contre-cœur ; aujourd’hui aussi bien qu’il y a vingt ans, nous appelons un jour de délivrance la journée de Navarin, déplorée par le premier ministre de la Grande-Bretagne, et nous saluons avec une joie plus naturelle à Toulon qu’on ne le fait à Plymouth le nouveau pavillon qui se montre sur les mers ; en Espagne, nous venons en aide à la liberté qui féconde, et non pas à l’anarchie qui stérilise, et nous souhaitons que la patrie du Cid et de Cortez n’abdique ni son génie maritime ni son activité commerciale aux mains d’un nouveau Méthuen ; partout enfin en Europe aussi bien qu’en Océanie, nous rencontrons cet antagonisme de vues et d’intérêts reconnu par le cabinet français, lors même qu’il professait pour l’alliance un dévouement justifié par les loyales intentions des collègues de sir Robert Peel.

Si tel est l’état des choses depuis seize années, et si la langue politique est plus modifiée dans la phraséologie que la situation n’est changée dans sa réalité même, il devient plus facile d’envisager de sang-froid ce qui se passe et de ne pas s’exagérer la portée des faits nouveaux.

La France a marché seule dans le monde depuis longues années, et ce n’est ni lord Palmerston par ses protestations, ni M. le prince de Metternich par l’incorporation de Cracovie, qui ont amené cette position, qu’on proclamait hautement devant la France, lorsqu’on arrachait aux chambres les fortifications de Paris. Ce n’est pas aux derniers mois de 1846, ce n’est pas même à la révolution de 1830 qu’il faut remonter pour la comprendre dans ses causes primordiales : elle date de 1814 et surtout de 1815 ; elle nous a été préparée lorsque l’Europe s’est coalisée à Chaumont et qu’elle nous a vaincus à Waterloo.

Les actes diplomatiques qui suivirent nos désastres ont scellé peut-être pour un demi-siècle cette attitude de méfiance et d’inquiète observation. Le sens moral de la France s’est soulevé contre les traités de Vienne beaucoup moins à raison des conquêtes dont ils nous imposaient l’abandon, que par suite du systématique mépris professé dans ces traités pour la volonté des peuples. Partager les nations comme une vaste