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en péril de mort, m’attendait pour faire quelques legs à la communauté.

— Mais je ne suis pas Américain ! il y a erreur ! Et de plus je ne suis pas au lit de mort ; vous le voyez bien !

Et je me levai brusquement… un peu avec le besoin de me convaincre moi-même de ma parfaite santé. — Le père Planchet comprit enfin qu’on l’avait mal renseigné. Il s’informa dans la maison et apprit que l’Américain demeurait un peu plus loin. Il me salua en riant de sa méprise, et me promit de venir me voir en repassant, enchanté qu’il était d’avoir fait ma connaissance, grace à ce hasard singulier.

Quand il revint, l’esclave était dans la chambre, et je lui appris son histoire. — Comment, me dit-il, vous êtes-vous mis ce poids sur la conscience !… Vous avez dérangé la vie de cette femme, et désormais vous êtes responsable de tout ce qui peut lui arriver. Puisque vous ne pouvez l’emmener en France et que vous ne voulez pas sans doute l’épouser, que deviendra-t-elle ?

— Je lui donnerai la liberté ; c’est le bien le plus grand que puisse réclamer une créature raisonnable.

— Il valait mieux la laisser où elle était ; elle aurait trouvé peut-être un bon maître, un mari… Maintenant savez-vous dans quel abîme d’inconduite elle peut tomber, une fois laissée à elle-même ? Elle ne sait rien faire, elle ne veut pas servir… Pensez donc à tout cela.

Je n’y avais jamais en effet songé sérieusement. Je demandai conseil au père Planchet, qui me dit :

— Il n’est pas impossible que je lui trouve une condition et un avenir. Il y a, ajouta-t-il, des dames très pieuses dans la ville qui se chargeraient de son sort.

Je le prévins de l’extrême dévotion qu’elle avait pour la foi musulmane. Il secoua la tête et se mit à lui parler très long-temps.

Au fond, cette femme avait le sentiment religieux développé plutôt par nature et d’une manière générale que dans le sens d’une croyance spéciale. De plus, l’aspect des populations maronites parmi lesquelles nous vivions, et des couverts dont on entendait sonner les cloches dans la montagne, le passage fréquent des émirs chrétiens et druses, qui venaient à Beyrouth, magnifiquement montés et pourvus d’armes brillantes, avec des suites nombreuses de cavaliers et des noirs portant derrière eux leurs étendards roulés autour des lances : tout cet appareil féodal, qui m’étonnait moi-même comme un tableau des croisades, apprenait à la pauvre esclave qu’il y avait, même en pays turc, de la pompe et de la puissance en dehors du principe musulman.

L’effet extérieur séduit partout les femmes, — surtout les femmes ignorantes et simples, — et devient souvent la principale raison de leurs sympathies ou de leurs convictions. Lorsque nous nous rendions à Beyrouth