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— Mais j’en ai aussi, des poules, et je lui en aurais donné plusieurs pour celle-là !

— Ce n’est pas la même chose.

— Comment donc ! mais je sacrifierais toutes les poules de la terre pour qu’on ne perdît pas une heure de bon vent, dans un bâtiment où nous risquons demain de mourir de soif.

— Voyez-vous, dit l’Arménien, la poule s’est envolée à sa gauche, au moment où il s’apprêtait à lui couper le cou.

— J’admettrais volontiers, répondis-je, qu’il se fût dévoué comme musulman pour sauver une créature vivante, mais je sais que le respect des vrais croyans pour les animaux ne va point jusque-là, puisqu’ils les tuent fort bien pour leur nourriture.

— Sans doute, ils les tuent, mais avec des cérémonies, en prononçant des prières, et encore ne peuvent-ils leur couper la gorge qu’avec un couteau dont le manche soit percé de trois clous et dont la lame soit sans brèche. Si tout à l’heure la poule s’était noyée, le pauvre homme était certain de mourir d’ici à trois jours.

— C’est bien différent, dis-je à l’Arménien.

Ainsi, pour les Orientaux, c’est toujours une chose grave que de tuer un animal. Il n’est permis de le faire que pour sa nourriture expressément et dans des formes qui rappellent l’antique institution des sacrifices. On sait qu’il y a quelque chose de pareil chez les Israélites ; les bouchers sont obligés d’employer des sacrificateurs (schocket) qui appartiennent à l’ordre religieux, et ne tuent chaque bête qu’en employant des formules consacrées. — Ce préjugé se retrouve avec des nuances diverses dans la plupart des religions du Levant. La chasse même n’est tolérée que contre les bêtes féroces et en punition de dégâts causés par elles. La chasse au faucon était pourtant, à l’époque des califes, le divertissement des grands, mais par une sorte d’interprétation qui rejetait sur l’oiseau de proie la responsabilité du sang versé. — Au fond, sans adopter les idées de l’Inde, on peut convenir qu’il y a quelque chose de grand dans cette pensée de ne tuer aucun animal sans nécessité. Les formules recommandées pour le cas où on leur ôte la vie, par le besoin de s’en faire une nourriture, ont pour but sans doute d’empêcher que la souffrance se prolonge plus d’un instant, ce que les habitudes de la chasse rendent malheureusement impossible.

L’Arménien me raconta à ce sujet que, du temps de Mahmoud, Constantinople était tellement rempli de chiens, que les voitures avaient peine à circuler dans les rues. Ne pouvant les détruire, ni comme animaux féroces, ni comme propres à la nourriture, on imagina de les exporter dans des îlots déserts de l’entrée du Bosphore. Il fallut les embarquer par milliers dans des caïques, et au moment où, ignorans de leur sort ; ils prirent possession de leurs nouveaux domaines, un iman