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ils se sont éteints. S’il en reste encore quelques-uns autour de Port-Jackson, les Anglais ont réussi à les abaisser au-dessous de leur état antérieur. Les rares rejetons de cette race avilie ont pour les liqueurs spiritueuses un goût effréné ; ils restent plongés dans une ivresse continuelle. Avec un morceau de canne à sucre et quelques verres d’eau, ils fabriquent une quantité de rhum grossier assez grande pour enivrer sept ou huit personnes. Ils sont, comme le dit le capitaine Stokes, un triste échantillon des bienfaits produits par le mélange des peuples civilisés et des tribus barbares. Autour de Melbourne, sur les rives de Marra, on ne voit plus un seul indigène. Voilà l’œuvre qui s’accomplit et qui se poursuivra jusqu’à ce que les anciens maîtres du sol aient disparu pour jamais. Poursuivis d’étape en étape par le flux de la civilisation, les naturels australiens arriveront enfin aux vastes plaines de sable où les attend le sort des peaux rouges, rejetés dans les montagnes Rocheuses. Quel que soit son abaissement, on ne saurait refuser un peu de compassion à cette race destinée à périr. Sans histoire, sans rôle dans le monde, elle s’effacera, laissant à peine un souvenir de son inutile passage.

Serait-elle susceptible d’une certaine éducation ? Il est impossible de le décider, car aucune tentative assez sincère et assez patiente n’a été faite pour l’élever au-dessus de son état primitif. On lui a bien envoyé des missionnaires, on a paru s’apitoyer sur elle, le gouvernement anglais a même prescrit des dispositions empreintes d’une apparente bienveillance ; mais toutes les mesures prises ont été exécutées dans un esprit diamétralement contraire au principe qui les avait dictées. L’aveu en est échappé à un ami très partial des colons dont la parole n’est pas suspecte, à M. de Strzelecki. On voudrait pouvoir concilier la modération envers les naturels avec les exigences du développement colonial ; on pratiquerait volontiers la philanthropie, pourvu qu’il n’en coûtât rien à l’intérêt. Là comme en Irlande, comme partout, les Anglais ne sont compatissans et humains que si la politique l’ordonne ou le permet ; aussi qu’est-il arrivé ? Les essais d’amélioration tentés en faveur des indigènes ont été pour ces derniers une source de nouvelles douleurs. On aurait voulu les civiliser pour le seul profit des colons ; on n’a pas même réussi à rendre un peu moins dure l’agonie de ces peuples expirans.

Veut-on un exemple des charitables procédés britanniques ? A la rivière des Cygnes, le gouvernement a fondé une colonie pénitentiaire pour les sauvages. Ce bizarre établissement est installé sur l’île Rottenest, à quelques milles de la côte, près de l’embouchure du fleuve ; on y déporte les condamnés, les uns pour un temps, les autres à perpétuité, et le plus souvent pour des crimes auxquels les ont poussés, suivant les propres expressions du capitaine Stokes, les mauvais traitemens de ces