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se retourna, il vit que Chavarria changeait aussi de tactique. Arrêté sur le bord de la tranchée, l’alcade détachait l’espingole pendue à l’arçon de sa selle, et, ajustant les deux fugitifs, il fit feu. Dix balles vinrent siffler aux oreilles de doña Maria sans la blesser ; l’une des balles seulement effleura la croupe du cheval, qui bondit de douleur et repartit plus rapidement encore. Furieux de voir sa proie lui échapper, Chavarria s’élança à son tour vers la tranchée périlleuse ; mais, moins heureux que son adversaire, il glissa, s’abattit complètement, et, de loin, don José eut l’inexprimable satisfaction de le voir tomber et rouler dans la poussière.

L’alferez et doña Maria touchaient déjà aux portes de la ville ; les rues de Cuzco étaient désertes à cette heure matinale, et ils purent arriver sans fâcheuse rencontre au couvent de Saint-Augustin, situé sur la grande place. Catalina mit alors pied à terre, laissa dans la rue son cheval fumant, aida doña Maria à monter l’escalier, la conduisit jusqu’à sa tante, et, songeant qu’elle n’avait pas une minute à perdre, elle redescendit les marches quatre à quatre. Comme elle franchissait le seuil, elle se heurta rudement contre un homme qui entrait ; c’était Chavarria. Les mains et le visage en sang, les habits déchirés, le malheureux semblait ivre de fureur. L’alferez, tirant son épée, le força de reculer et déclara qu’il n’entrerait qu’en passant sur son cadavre. Sans répondre, l’alcade se mit en garde. Les deux adversaires, épuisés de fatigue l’un et l’autre, pouvant à peine se soutenir, croisèrent le fer et commencèrent le combat. Le galop des chevaux avait éveillé l’attention des voisins, le cliquetis des épées les attira aux fenêtres ; des curieux arrivèrent ; on allait sans doute séparer les combattans, lorsque trois nouveaux cavaliers débouchèrent sur la place. C’était le valet de Calderon avec deux domestiques de Chavarria qui de loin avaient suivi leur maître. Au même moment, l’alferez venait d’être blessé. Excité par la douleur, il pressait vivement son adversaire. Les deux domestiques vinrent au secours de l’alcade, le valet de Calderon se rangea du côté de don José. La mêlée devint générale. Pâle, l’œil en feu, les cheveux en désordre, Catalina avait oublié sa fatigue et retrouvé son énergie des grands jours. Après être restée long-temps sur la défensive, elle attaquait avec furie, et l’alcade, atteint au cœur, tomba. Le domestique de Calderon s’enfuit aussitôt, laissant le libérateur de doña Maria seul contre les deux autres. Appuyé contre le mur du couvent, l’alferez faisait face à toutes les attaques. En vain on essaya de séparer les combattans. Les alguazils survinrent enfin, et Catalina, qui refusait de se rendre, se débattant comme un tigre blessé au milieu des assaillans, allait succomber sans nul doute, lorsqu’un incident inespéré termina cette lutte inégale.

La porte du palais épiscopal venait de s’ouvrir. L’évêque, accompagné de son secrétaire et suivi du domestique de Calderon, avait paru