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dormeuses, n’entreprendraient pas sans danger de pareilles excursions, à travers des pays sauvages et déserts, dans une litière au rude tangage. Doña Maria parut enveloppée du haut du peigne au bout des pieds dans sa mantille de satin, un œillet rouge à chaque tempe et son éventail à la main ; elle salua l’alferez d’un geste gracieux, Calderon d’un doux regard, et monta dans la portantine. Les cavaliers enfourchèrent leurs chevaux, et la caravane se mit en route.

En marchant quatre heures le matin et quatre heures dans l’après-midi, par des chemins détestables, on ne pouvait faire par jour plus de dix à douze lieues. Le soir, on arrivait à quelque hutte misérable, à quelque venta désemparée, c’est-à-dire à une écurie au bout de laquelle on avait réservé un recoin qui servait à la fois de cuisine, de sellerie, de salon et de chambre à coucher. On y dînait comme on pouvait ; les domestiques de l’alcade disposaient avec des toiles et des mantas une sorte de chambre et une manière de lit pour doña Maria ; les hommes s’arrangeaient de leur mieux dans la paille. La belle Andalouse ne semblait pas s’apercevoir de la longueur et des fatigues de ce voyage. Suivant du regard tout le jour l’heureux Calderon, qui posait sous ses beaux yeux avec la jactance espagnole et faisait exécuter à son cheval rose des fantasias continuelles, elle semblait vraiment penser à bien autre chose. Le mari qui ne posait pas, chevauchait plus paisiblement derrière la litière. Don Pedro était un de ces Espagnols courts et trapus dont le regard n’a rien de débonnaire, et dont le teint rappelle le visage d’Othello. Après quelques jours de voyage, l’alferez crut remarquer que la physionomie naturellement sombre de l’alcade se rembrunissait de plus en plus. Il vit le soupçon naître et grandir dans ce cœur passionné. Bientôt il pressentit un drame. Que faire ? Ivres de jeunesse et d’amour, les deux amans se laissaient aller au cours de la vie, sans songer au danger, comme ces beaux cygnes qu’entraîne paisiblement le courant d’un fleuve et qu’attend plus loin la balle du chasseur. L’alferez, pendant le voyage, s’était lié avec Calderon ; mais celui-ci ne lui avait guère parlé que de sa maison, de sa fortune, de ses chevaux et de son oncle, surtout de son oncle, l’évêque de Cuzco. De son amour, il n’avait pas dit un seul mot à l’alferez, et celui-ci, tout en se proposant de donner à Calderon un avertissement charitable, ne pouvait se cacher que cette réserve rendait plus difficile encore et plus délicate l’exécution de son projet.

Cependant on marchait toujours et l’on gagna la dernière étape. C’était une petite ville, de construction récente, à dix lieues en avant de Cuzco. Depuis peu de temps, une sorte d’administration civile était établie dans cette bourgade, et il se trouva que le corrégidor était fort connu de Pedro de Chavarria. Il fut aisé, grace à lui, de procurer à la belle voyageuse un logement plus convenable que les gîtes des jours