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frères, s’écria Catalina en se relevant tout à coup, que venez-vous faire ici ? Et comme les religieux reculaient avec effroi : — Vous voulez me confesser, dites-vous ? Et qui vous dit que je veuille me confesser, moi ! Allez, je n’ai que faire de vous et laissez-moi en paix. Les moines, très surpris, cherchèrent à calmer cette colère subite : ils parlèrent au condamné de la mort qui l’attendait et du monde inconnu qui s’ouvrait au-delà ; mais l’alferez répondit qu’il ne craignait pas la mort et qu’il ne croyait pas à l’autre vie. S’il était chrétien ou païen, c’est ce qu’il ignorait, ne s’étant jamais occupé de pareilles choses. Né dans les camps, il avait combattu sur terre et sur mer depuis son enfance en loyal soldat ; il était innocent du crime dont on l’accusait : que fallait-il de plus ? Après avoir épuisé inutilement toutes leurs formules d’exhortation, les religieux sortirent du cachot, déplorant l’impiété du condamné : sur la proposition de l’un d’entre eux, ils allèrent chez le corrégidor pour le supplier d’ajourner l’exécution et de laisser à cette ame égarée le temps d’entrer dans une voie meilleure. L’avertissement mystérieux, c’était à Juana que la prisonnière le devait, et on comprend maintenant quelle pensée l’avait dicté.

Cette pensée, Catalina d’abord n’avait pas su la deviner. Quant au corrégidor, un instant inflexible, il finit cependant par s’adoucir, et accorda aux religieux douze heures de délai, après lesquelles, ajouta-t-il, le condamné pouvait aller au diable si bon lui semblait. La journée du lendemain se passa en prières, en exhortations inutiles. Catalina, apprenant la cause de l’ajournement, n’eut garde de se laisser toucher si vite par la grace ; elle espérait. Vers le soir, cependant, son courage diminua ; elle pâlit lorsqu’à l’heure dite elle entendit les verrous se tirer et les portes s’ouvrir : c’étaient les exécuteurs. Bientôt après Catalina, revêtue par-dessus ses habits d’une robe de laine blanche, sortit de la prison pieds nus, un cierge à la main, et escortée d’un détachement d’infanterie. Une longue file de religieux, la croix en tête, le rosaire à la main, attendait le condamné ; une foule immense se pressait sur la place, qu’inondaient les lueurs rouges du couchant. Quand parut l’alferez, un sourd murmure s’éleva de toutes parts ; il était fort pâle, mais sa démarche était ferme et son œil étincelait. Que joven ! que bonito ! que juapito ! (qu’il est jeune ! qu’il est joli !), disaient les femmes. Au moment où le cortège allait se mettre en marche, Catalina reconnut dans la foule le religieux de la veille ; il lui sembla que ses regards se portaient de tous côtés avec anxiété : il y avait donc quelque espérance dans l’air ? On arriva bientôt sur la grande place, et le condamné put voir de loin l’instrument du supplice. Le gibet avait la forme d’un F ; un enfant, à cheval sur le bras supérieur, attachait en ce moment la corde, des alguazils refoulaient la multitude. Catalina n’en vit pas davantage, car ses yeux se troublèrent et ses oreilles commencèrent à bourdonner. Elle