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précaution et traîna le cadavre jusqu’à la première marche de l’escalier ; puis, ayant ôté la clé de la serrure, il la remit dans la poche de Fernando ; cela fait, il sortit en tirant, avec le moins de bruit possible, la porte derrière lui. Dans la rue, il prêta de nouveau l’oreille ; le calme était toujours profond. Alors, bien convaincu que la nuit garderait son secret, il rentra dans la maison de la señora, où il logeait, et se coucha sans trop de remords, se disant qu’après tout il s’était conduit en caballero. Diaz s’endormit tard cependant ; le lendemain, quand il se réveilla en sursaut, il vit devant lui le corrégidor et quatre alguazils.

Cette fois, il n’y avait ni fuite ni résistance possibles. L’alferez, la mort dans le cœur, regarda les estafiers avec un étonnement simulé, et demanda d’un ton qu’il essaya de rendre assuré ce qu’on lui voulait la réponse était prévue. — Et de quoi m’accuse-t-on, mon Dieu ? continua-t-il. — D’assassinat, répliqua froidement le corrégidor. Pietro, voulant jouer jusqu’au bout la surprise, tenta de sourire, mais il n’y réussit pas. Il fallut se lever en toute hâte ; on ne lui permit pas même de parler à la señora. Seulement, comme il descendait l’escalier, une porte s’entr’ouvrit sur son passage, et il crut apercevoir le visage pâle et baigné de larmes de la pauvre Juana. Une demi-heure plus tard, l’alferez était sous les verrous. Dans ce temps-là, on ne laissait pas languir les prisonniers sous le coup d’une prévention quelconque ; on arrivait au fait sur-le-champ, la justice était fort expéditive. En un jour, l’instruction de l’affaire fut terminée, l’acte d’accusation dressé. On vint interroger le captif à deux reprises différentes : il nia tout effrontément, avec une telle fermeté, qu’il en imposa. Il déclara, ce qui était vrai, qu’il n’était jamais entré dans l’appartement de Fernando de Acosta, qu’il le connaissait à peine, qu’il ne pouvait donc s’être querellé dans sa maison avec lui, et que les gens de son espèce attaquaient leurs ennemis face à face, en plein air, et non pas dans les couloirs comme des assassins. Par malheur, à la grande stupéfaction de Piétro, un témoin comparut. C’était un homme de mauvaise mine qu’il n’avait jamais vu de sa vie. Celui-ci déclara cependant qu’il connaissait parfaitement l’alferez ; que ce n’était point un mystère dans le quartier qu’il courtisait la femme de Fernando de Acosta ; que, selon toute probabilité, l’amant surpris s’était débarrassé dans l’escalier du mari trop confiant, et que, le coup fait, il avait sauvé par la fenêtre, voulant sans doute détourner les soupçons ou les laisser tomber sur les habitans de la maison. Il ajoutait qu’un de ses amis avait vu, vers minuit, l’accusé sauter d’un balcon dans la rue. Cet ami, qui était un autre mécréant de la même espèce, déposa en effet qu’il avait parfaitement reconnu l’alferez, lorsqu’il était descendu du balcon, mais que, pensant qu’il s’agissait d’une intrigue d’amour, il avait négligé d’en instruire l’autorité. Que répondre aux accablantes allégations de ces imposteurs sou-