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Au point du jour, les vents tombèrent, et la mer se calma. Le navire échoué restait encore suspendu comme par miracle entre deux écueils, d’horribles craquemens se faisaient entendre, il menaçait à tout instant de s’engloutir. Catalina comprit qu’il n’y avait pas un moment à perdre ; aidée du vieux capitaine, elle rassembla quelques débris épars, les lia fortement avec des amarres, et en forma une sorte de faisceau. Son sang-froid ne l’avait pas abandonnée, elle se souvint en ce moment suprême que sans argent on ne va pas loin sur les grandes routes de ce monde. Elle s’arma d’une hache pénétra dans la chambre à demi inondée, enfonça un coffre qu’elle connaissait à merveille, y prit cent écus d’or et les roula dans un lambeau de toile qu’elle vint amarrer à tout hasard, aux pièces de bois qu’elle avait préparées. Puis elle jeta le tout dans la mer et s’y jeta elle-même, invitant don Estevan à la suivre. Le vieux capitaine, voulant l’imiter, se brisa la tête contre le bordage ; Catalina, plus heureuse, empoigna son radeau fragile, s’y cramponna de toute sa force et se laissa dériver à la grace de Dieu. La terre était voisine, et le vent la jeta inanimée sur une plage sablonneuse.

Combien de temps resta-t-elle sans mouvement et sans vie, elle n’en sut rien. Une douce sensation de chaleur qui l’enveloppait comme un manteau soyeux et faisait courir le sang dans ses membres engourdis vint la ranimer. Elle ouvrit les yeux et regarda autour d’elle. La plage semblait déserte, un soleil splendide versait des flots de lumière sur un paysage silencieux. La mer était calme, quelques débris épars sur la côte rappelaient seuls ses récentes colères. Catalina regarda dans la direction des rochers où avait péri le Habanero ; rien ne restait de ce beau navire. Ainsi les liens qui pouvaient la rattacher à l’Europe, les soupçons qui avaient pu la suivre, tout s’était englouti dans le naufrage. Sa trace était à tout jamais perdue, et, dans ce nouveau monde qu’elle allait adopter pour patrie, elle pouvait mener désormais, sans souvenir du passé, sans souci de personne, l’existence qui lui conviendrait. Mais où était-elle ? qu’allait-elle devenir ? C’était la question. Catalina n’était pas femme à perdre son temps en rêves ou en mélancoliques réflexions. Son premier soin fut de rajuster ses vêtemens de matelot que le soleil avait déjà séchés ; elle lissa sur son front ses cheveux noirs ; puis elle détacha de son petit radeau, que la vague avait poussé avec elle, le précieux rouleau de toile, et remplit ses poches de quadruples d’or. Ces préparatifs terminés, Calalina s’aperçut qu’elle mourait de faim.

Après avoir attentivement examiné le pays qui s’offrait à sa vue, n’apercevant rien qui révélât sur ce rivage la présence de l’homme, elle songea qu’en s’enfonçant dans les terres, elle courait grand risque de périr d’inanition ; en suivant la côte, au contraire, elle devait arriver tôt ou tard à Païta, puisque Païta était un port de mer. Restait à savoir