Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/598

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour le latin, on lui mit un rudiment entre les mains ; la voilà déclinant les substantifs et conjuguant les verbes. Elle n’en était pas aux irréguliers que l’ennui la prit ; était-ce donc pour tendre la main à la férule d’un magister qu’elle avait quitté le couvent ? À la vérité, la table était bonne chez don Francisco, mais ces bouffées d’air tiède qui venaient soulever les papiers sur sa table de travail étaient imprégnées de je ne sais quel parfum de liberté qui faisait délirer sa jeune tête. Elle songeait aux grandes routes, aux beaux arbres qui se balançaient sur la croupe des montagnes ; elle y songea si bien qu’un matin, don Francisco étant sorti, elle prit sur sa cheminée une poignée de réaux, se disant que cet argent après tout ne sortait pas de la famille, et quitta lestement la maison. Aux portes de la ville, elle trouva un arriero (muletier) qui, moyennant un douro, la chargea sur une de ses mules. Cet homme faisait route pour Valladolid ; notre écolière y arriva bientôt avec lui.

Le roi était alors à Valladolid avec toute la cour. Une foule de soldats, de chevaux, de carrosses, encombraient les rues ; à la vue de ce spectacle si nouveau pour elle, Catalina perdit la tête ; elle se mit à errer dans la ville. Une troupe de musiciens exécutait sur la grande place une marche guerrière ; la novice déguisée, saisie d’admiration ; se mêla, pour mieux entendre, à une bande de ces enfans désoeuvrés dont la plus chère occupation, en tout pays, est d’escorter les tambours et les clairons. Quiconque a voyagé en Espagne sait que les gamins péninsulaires ont souvent d’étranges toilettes ; mais le costume de Catalina, notamment ce pourpoint vert taillé dans un cotillon et cousu au milieu des bois, dépassait toute mesure en fait d’originalité, et la troupe joyeuse abandonna bientôt les musiciens pour huer ce compagnon inconnu. Aux cris les injures succédèrent, et la boue suivit les quolibets. Catalina commença de jouer des pieds et des poings avec autant de prestesse que de vigueur ; puis, se voyant serrée de trop près, elle ramassa des pierres et entama une lutte plus périlleuse. Un des enfans, plus hardi que les autres, voulut la désarmer ; il s’en trouva mal, car, frappé à la tête par un caillou tranchant, il tomba l’œil crevé, la figure en sang. Ses compagnons prirent la fuite, les passans accoururent, et avec eux deux alguazils qui apprirent à la délinquante le chemin de la prison.

Les aventures de la novice allaient se terminer très prosaïquement, si le sort ne fût venu à son aide. Un seigneur de la cour logeait sur la place, et de sa fenêtre il avait été témoin du combat. Frappé du courage de Catalina, de sa bonne mine, de son habit singulier, il descendit en toute hâte, courut après les alguazils, leur expliqua l’affaire en deux mots, et sur son ordre, la prisonnière fut relâchée. Catalina suivit son libérateur ; tout en examinant son chapeau à plumes, son pourpoint brodé, sa longue rapière, elle réfléchit que ce pouvait bien être le roi lui-même. C’était seulement don Carlos de Arellano, de l’ordre