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garde dans un nid de tourterelles. Toutes les saintes recluses ne prenaient pas également leur parti du caractère de Catalina. Les religieuses de son âge, habituées dès l’enfance à sa domination, se soumettaient en toute occasion et en tremblant à leur compagne, chez laquelle elles sentaient une volonté supérieure et comme virile ; mais toutes les nonnes n’étaient point des novices. Il y avait au couvent de Saint-Sébastien el Antiguo plus d’une de ces vieilles recluses âpres et revêches, aigries par le célibat, dont le visage momifié semble une figure de géométrie recouverte de parchemin, et dont le type, conservé d’âge en âge, se retrouve encore dans tous les couvens, et même ailleurs. Doña Incarnacion de Aliri était la plus raide de ces vieilles filles, qui ont ordinairement en horreur la jeunesse et la beauté ; elle détestait Catalina et avait juré depuis long-temps d’en finir une bonne fois avec l’impertinente novice. Un soir que l’on se rendait au réfectoire, Catalina, en dépit de toute hiérarchie, passa impudemment devant doña Incarnation en la coudoyant ; celle-ci la repoussa avec aigreur, et Catalina, ayant insisté de nouveau, reçut un soufflet retentissant de la plus sèche main de la Péninsule. Son visage se décomposa subitement et prit une expression si terrible, que toutes les religieuses épouvantées se serrèrent autour d’elle, redoutant quelque malheur. Doña Incarnation se sauva ; elle affirma depuis que, dans cet instant, le regard de la jeune fille, brillant comme un glaive, chargé de haine et de férocité comme celui d’une bête sauvage, lui avait révélé en un éclair la destinée sanglante de Catalina.

Cet événement changea tout à coup la vie de la nonne. Quelques heures plus tard, le 18 mars 1607, veille de Saint-Joseph, comme tout le couvent se levait pour aller chanter matines, Catalina entra avec les autres religieuses dans la chapelle et s’agenouilla auprès de sa tante. Doña Ursula, presque aussitôt, lui donna la clé de sa cellule et lui commanda d’aller chercher son bréviaire. La novice sortit ; arrivée dans la cellule de l’abbesse, elle ouvrit une armoire et y vit, suspendu à un clou, le trousseau de toutes les clés du couvent. Une idée traversa son esprit : elle laissa la cellule ouverte et revint porter à sa tante la clé et le bréviaire ; mais bientôt, se sentant, disait-elle, indisposée, elle demanda la permission de se retirer ; doña Ursula, qui avait toujours eu pour sa nièce beaucoup d’indulgence, lui dit, en la baisant au front, d’aller se coucher. Catalina ne se fit pas prier ; elle quitta la chapelle, courut à la cellule de sa tante, prit une lumière et ouvrit l’armoire une seconde fois. Elle s’empara d’une paire de ciseaux, d’une aiguille, d’un peloton de fil et de deux réaux, sur huit qui se trouvaient dans la bourse de l’abbesse. C’était de la discrétion, et depuis elle fut bien rarement aussi scrupuleuse. Ces dispositions faites, elle emporta les clés du couvent et sortit, fermant toutes les portes à double tour, jusqu’à la der-