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de la même ville, M. Morton, les employa avec succès sur des malades confiés à ses soins. Dès le mois de novembre dernier, une lettre sous pli cacheté, déposée par M. Élie de Beaumont dans les bureaux de l’Académie des Sciences, garantissait à M. Jackson la priorité de cette découverte que l’on a connue plus tard en France par les journaux américains. La nouvelle en a été accueillie d’abord parmi nous avec une sorte d’incrédulité. Les premières tentatives des chirurgiens français avaient été malheureuses, apparemment à cause de l’imperfection des instrumens ; mais le zèle et l’habileté de nos fabricans ont bientôt aplani les difficultés.

L’appareil se compose d’un flacon large vers le fond et destiné à recevoir l’éther. De la partie supérieure partent deux tubes, l’un qui laisse pénétrer l’air dans le flacon, l’autre qui se termine par une partie évasée et conduit la vapeur d’éther. Or, deux voies sont ouvertes à l’entrée de l’air dans les canaux respiratoires, la bouche et le nez. Il suffit de fermer les narines pour que l’air passe par la bouche, et par conséquent aussi les vapeurs éthérées, si la partie évasée du tube de l’instrument a été appliquée sur les lèvres. Un dernier obstacle se présentait : il fallait imaginer un mécanisme au moyen duquel la vapeur d’éther pût arriver dans la bouche pendant l’inspiration, sans que l’air extérieur y pénétrât ; il fallait aussi que ce mécanisme, en empêchant les gaz chassés de la poitrine pendant l’expiration d’aller dans l’intérieur du flacon, leur offrit une issue au dehors. C’est ce qu’on a obtenu au moyen de deux petites soupapes qui s’élèvent et s’abaissent alternativement pendant les mouvemens d’inspiration et d’expiration.

Dès que les chirurgiens des hôpitaux de Paris ont eu à leur disposition ces appareils, auxquels cependant de grands perfectionnemens doivent encore être apportés, l’efficacité des inspirations d’air éthéré a été reconnue de tous. Aujourd’hui les succès sont très nombreux ; nous ne citerons que les plus remarquables. Il y a quelques jours, M. le docteur Laugier pratiquait à l’hôpital Beaujon une amputation de la cuisse. La jeune fille condamnée à cette mutilation avait été préalablement assoupie par l’éther ; elle ne sentit nullement le tranchant du couteau, et, revenue parmi les hommes, elle s’écria avec étonnement : « Est-ce que ma cuisse a été coupée ? » En quelques instans l’opération avait été terminée, en même temps que cessait l’extase de la jeune fille qui se croyait au ciel, près de Dieu et des anges. — A l’hôpital de la Charité, un malade portait une tumeur de nature cancéreuse ; M. le professeur Velpeau a pu l’extirper et faire le pansement avant que l’ivresse fût dissipée. Et au bout de quatre minutes : « Vous avez pris la meilleure méthode, » dit le malheureux revenu à lui. Il était juge compétent, car il avait déjà subi deux fois la même opération.

La découverte de M. Jackson n’est pas seulement précieuse pour la pratique médicale ; elle l’est aussi pour les physiologistes et les philosophes. M. le professeur Gerdy, le premier, a étudié les phénomènes que détermine sur l’homme sain l’introduction de la vapeur d’éther ; c’est lui-même qu’il a pris pour sujet de ses expériences, bien différent en cela d’un élève de l’école vétérinaire d’Alfort qui n’a pas craint de blesser avec un instrument tranchant un de ses camarades assoupi par les vapeurs d’éther. Pour recevoir dans la poitrine l’air éthéré, on doit respirer largement. A peine le médicament a-t-il pénétré dans les voies aériennes, qu’il produit dans l’arrière-gorge un picotement et bientôt une toux convulsive très fatigante. Il faut une certaine énergie pour vaincre la gêne que causent les