Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/59

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
53
LA DERNIÈRE GUERRE MARITIME.

dû transporter son guidon sur le Holstein, que venaient d’assaillir, à l’autre extrémité de la ligne, le Monarch et le Defiance. Vers deux heures, malgré tous les efforts qu’on avait pu faire pour s’en rendre maître, l’incendie éclata à bord du Dannebrog avec une soudaine violence. Ce vaisseau, sur lequel l’Éléphant et le Glatton tiraient alors à mitraille, se vit perdu sans ressource ; il coupa ses câbles et dériva lentement vers la plage, pendant que la flamme sortait en tourbillons par les écoutilles et par les sabords. Les matelots qui pouvaient encore se mouvoir se jetèrent à l’eau pour échapper aux horreurs de l’incendie ; mais, sur 336 hommes dont se composait l’équipage du Dannebrog, 270 étaient déjà hors de combat, et l’on ne parvint à soustraire aux flammes qu’un bien petit nombre de ces victimes héroïques. Les batteries flottantes mouillées près du vaisseau du commodore se trouvèrent alors écrasées par le feu de l’avant-garde anglaise, qui n’avait plus d’ennemis sérieux à combattre. Les vainqueurs cependant ne pouvaient amariner aucun des navires qu’ils avaient réduits. Dès que leurs canots s’en approchaient, ils étaient accueillis par une fusillade qui les obligeait à se retirer, Le Provestein même, le Vagrien, abandonnés par leurs équipages, étaient encore défendus par les batteries de l’île d’Amack, qui ne permettaient point à l’ennemi de s’en emparer.

À l’aile gauche, les Danois combattaient avec moins de désavantage. Le prince royal s’était porté de ce côté, et du haut d’une batterie il donnait ses ordres, indiquant avec le tact d’un vieux capitaine les mesures les plus propres à rétablir le combat. Une foule ardente et dévouée l’entourait et sollicitait la faveur de faire partie des renforts qui renouvelaient sans cesse les équipages décimés par l’ennemi. C’est ainsi que tel vaisseau dont les Anglais croyaient avoir fait taire l’artillerie leur ripostait tout à coup avec une nouvelle vigueur. Le capitaine Thura, du vaisseau l’Indfodstratten, était tombé des premiers sous le feu du Defiance, que montait l’amiral Graves. Tous ses officiers, à l’exception d’un lieutenant, avaient été tués ou grièvement blessés. On vint prévenir le prince royal de la situation désespérée de ce vaisseau. « Thura est mort, messieurs, dit le prince aux officiers qui se trouvaient près de lui ; qui de vous veut prendre sa place ? — S’il plaît à Dieu, j’en aurai encore la force, » répondit Schrœdersee, brave officier que sa mauvaise santé avait obligé tout récemment de donner sa démission, et, sans attendre le consentement du prince, il sauta dans le canot qui le transporta à bord de l’Indfodstratten. En arrivant sur le pont de ce vaisseau, il se trouva entouré de cadavres et de blessés. À peine avait-il donné ses premiers ordres, qu’il tomba mort lui-même à côté du capitaine qu’il était venu remplacer. Un lieutenant qui l’avait accompagné prit alors le commandement du vaisseau, et n’amena qu’à la dernière extrémité.