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avait soufferts dans des temps qui ne sont plus. L’Angleterre donnant à manger au paysan, le paysan payait régulièrement sa rente, et la fortune du landlord se trouvait ainsi mieux servie et plus sûre dans les mauvaises années que dans les bonnes. La détresse de tout un peuple devenait donc un bénéfice pour son aristocratie. Aussi, qu’ont demandé les chefs des partis irlandais, M. S. O’Brien comme M. O’Connell ? Toujours la même chose : que l’Angleterre achetât des denrées à son compte au prix actuel des marchés du monde, et vint elle-même les revendre à bas prix dans tous les villages d’Irlande. Cependant le gouvernement ne pouvait, comme l’a fort bien dit lord John Russell, substituer son action absorbante aux transactions de l’industrie privée ; c’eût été hausser tous les prix, généraliser et perpétuer la disette, sous prétexte d’y parer en un lieu et dans un temps donné. Le gouvernement s’est donc vu réduit à chercher des travaux dont le salaire, quel qu’il fût, fit du moins vivre cette foule à laquelle il ne pouvait ni ne devait lui-même ouvrir directement des greniers. Il a obtenu du parlement des sommes considérables pour être employées en grandes constructions, routes, canaux, etc. C’était un débouché nouveau qu’il préparait à tous ceux auxquels les exploitations particulières ne pourraient fournir des moyens d’existence, à tous ces misérables qui, n’étant point occupés au service des propriétaires ou des fermiers les plus riches, vivaient, dans les années ordinaires, des fruits, cette fois anéantis, du coin de terre qu’ils sous-louaient. Qu’est-il arrivé ? Les propriétaires, au lieu de multiplier les travaux dans leurs domaines, se sont croisé les bras, comme si le gouvernement avait pris la charge de leurs ouvriers, et la population s’est jetée sur les travaux du gouvernement avec une affluence qui a rendu tout aussitôt le système insuffisant.

Le lord lieutenant voulut détourner cette masse d’affamés qui encombrait les ateliers publics. Il en appela au plus clair intérêt des landlords ; il convertit les avances du trésor en encouragemens pour l’amélioration des domaines particuliers, au lieu de les réserver uniquement pour les ouvrages d’utilité générale dont le rapport n’était ni aussi immédiat, ni aussi fécond. Les landlords ont enfin reconnu tout le parti qu’ils pouvaient tirer de ces prêts que le gouvernement anglais leur avait toujours offerts, soit pour défricher, soit pour dessécher les vastes terrains que leur incapacité laissait improductifs. Ils ont montré dans ces derniers temps beaucoup d’empressement à demander les secours qui doivent leur permettre de relever la culture en Irlande, et de procurer ainsi une base plus large à l’alimentation publique. Les personnages les plus éminens du pays, des hommes de toutes les opinions et de toutes les croyances, ont formé un parti irlandais qui semble abandonner les chimères politiques pour satisfaire aux nécessités plus urgentes et peut-être là plus morales de l’ordre matériel. Cependant les paysans continuent leurs achats d’armes, et la jeune Irlande se montre plus violente que jamais dans ses assemblées. « Ce matin, disait dernièrement un orateur de parti dans un meeting monstre tenu à Dublin, ce matin il y a eu réception au château ; des courtisans sont allés adresser leurs hommages au représentant du royalisme (loyalty). Nous sommes ici ce soir pour prêter serment à la liberté. Que les Anglais votent les millions qu’ils voudront pour faire face à la détresse dont la charge doit peser sur eux, nous persisterons toujours à réclamer le rappel : on ne peut accepter d’eux les places qu’ils offrent et rester repealer… S’il vous vient sur les hustings un partisan de lord John Russell, allez