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devait donner la main de la reine Isabelle au prince de Cobourg. C’étaient, d’une part, l’impatience et les démarches de Marie-Christine, qui voulait arriver à un dénoûment, et procurer au trône de sa fille l’appui de l’Angleterre ou de la France ; c’était, de l’autre, la connivence du gouvernement anglais. Mais, dit-on, il y a eu un moment où lord Palmerston paraissait plus favorable aux prétentions de don Enrique qu’à celles d’un Cobourg ; c’est vrai : inquiet des difficultés que devait rencontrer cette dernière candidature, il se tourna vers le second fils de don François. Si cette combinaison eût réussi, il eût été le maître de la situation, et nous aurions pu le voir, six semaines après, marier Léopold de Cobourg à l’infante doña Luisa. Ici la finesse de lord Palmerston fut déjouée par la vivacité de la reine Christine. Cette princesse ne pouvait accepter don Enrique, chef avoué des progressistes ; elle lui substitua son frère, et offrit à l’ambassadeur de France la main de l’infante pour M. le duc de Montpensier, en y mettant pour condition que les deux mariages se feraient en même temps. M. Guizot nous a appris à la tribune de la chambre des pairs que M. le comte Bresson, dans l’engagement qu’il avait signé le 28 août avec M. Isturitz, n’avait consenti à cette condition de simultanéité que sous la réserve de ces mots : « Autant que faire se pourra. » L’habile diplomate maintenait autant qu’il était en lui la liberté de son gouvernement. Le 1er septembre, M. Guizot annonçait à lord Normanby la conclusion, entre les gouvernemens de France et d’Espagne, des deux mariages de la reine et de l’infante, et à la question s’ils seraient célébrés en même temps, il répondit d’une manière négative. Pourquoi ? Parce que sur la simultanéité le gouvernement français n’avait pas encore pris un parti définitif. Cependant le 2 et le 3 arrivèrent des courriers expédiés par M. le comte Bresson, qui représentait la situation pleine de périls en cas d’hésitation et de nouveaux délais. Des insurrections pouvaient éclater. Au lieu d’une pacification générale, l’Espagne allait peut-être retomber en pleine guerre civile ; si on manquait cette occasion de tout terminer, on ne la retrouverait plus. C’est alors que le 4 une dépêche télégraphique autorisa M. le comte Bresson à accorder la simultanéité des deux mariages. Y a-t-il là, pour le fond et pour la forme, manque de procédés envers le gouvernement anglais ? Pour le fond, nous ne faisions qu’user de la liberté que par sa conduite nous avait rendue lord Palmerston ; et quant à la forme, le gouvernement français ne pouvait instruire lord Normanby le 1er septembre d’une résolution qu’il n’a prise que le 4. Quand, le 25 septembre, lord Normanby se retrouva en présence de M. Guizot, il lui apportait une protestation en forme de lord Palmerston, et dès-lors la situation respective des deux gouvernemens était bien changée. Lord Palmerston blâmait hautement les engagemens contractés le 28 août entre l’Espagne et la France, et il entreprenait de nous y faire renoncer. Dans cette situation, eût-on voulu que notre gouvernement mit l’ambassadeur britannique dans la confidence de ses intentions, de ses projets ? S’il eût eu cette imprudence, s’il ne se fût pas tenu sur ses gardes, s’il eût continué de jouer cartes sur table avec lord Palmerston comme avec lord Aberdeen, que de reproches ne mériterait-il pas ? Enfin la meilleure réponse à l’accusation de manque de procédés envers l’Angleterre n’est-elle pas dans ce fait, qui reste évident en dépit de l’opiniâtreté de lord Palmerston à le méconnaître : c’est que la simultanéité des deux mariages, loin d’être sollicitée