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saison, à chaque mois, à chaque jour de l’année ; le texte de la prédication quotidienne, ce sont les moindres événemens de la nature, une fleur qui s’ouvre, un oiseau qui chante, l’arrivée des cigognes, le départ des hirondelles ; la leçon morale s’associe gracieusement aux scènes du bois et de la prairie, et l’on respire, pendant tout le sermon, je ne sais quelle franche odeur de foin, de fougère et de serpolet. Il y a bien dans tout cela des bizarreries inexplicables : tantôt une négligence inouie, tantôt une raideur technique qu’on excuserait à peine dans un traité spécial ; mais la pieuse émotion du poète est si vraie, qu’elle éclate sous la dureté du langage. Son sermon terminé, M. Schefer est rentré dans sa cellule de moine ; il a donné alors les Vigiles, c’est-à-dire ses méditations solitaires, ses dévotions philosophiques sous la lampe nocturne. Or, cette froide cellule l’a moins bien inspiré que la nature printanière ; comme il n’était plus soutenu par le spectacle de la vie, il est retombé dans les ténèbres de l’abstraction, et j’ai dit ici même[1] tout ce qu’il y a de subtilités et de galimatias dans les rêveries de ses veilles. Le poète toutefois y continuait le développement d’une même pensée ; c’était toujours la philosophie devenue religion, l’école transformée en église. Eh bien ! M. Schefer poursuit encore aujourd’hui la tâche qu’il a commencée ; après le Bréviaire des laïques, écrit en présence de la nature, après les élévations de ses nuits pieuses, le voilà maintenant qui se mêle à la foule, il parcourt le monde, il frappe à chaque seuil, il va consoler les cœurs souffrans, relever les malheureux qui doutent ; il s’impose enfin les plus actives fonctions du sacerdoce, et, pour qu’on ne s’y méprenne pas, il intitule son livre le Prêtre séculier.

Ce titre m’a séduit, je l’avoue. Il me semblait que l’auteur des Vigiles, averti par la chute de son dernier ouvrage, ambitionnait enfin le succès poétique. Quelle meilleure occasion, en effet, pour renoncer à ses monotones divagations ? Prêtre séculier, il allait converser avec ses semblables et porter à tous le pain de la doctrine nouvelle ; il ne serait certainement pas, me disais-je, subtil et inintelligible comme dans les Vigiles ; mêlé au mouvement de la vie humaine, il rencontrerait sans doute des tableaux, des scènes animées, des émotions profondes qui lui étaient interdites dans le Bréviaire des laïques. Une fois ce genre admis, où trouver une matière plus fertile, un plus riche programme ? C’était du moins un sujet favorable pour justifier complètement, si cela est possible, les essais de poésie hégélienne. Imaginez un Jocelyn nourri de la pensée puissante de Hegel, et qui va prêchant avec une foi enthousiaste les conséquences morales de la doctrine du maître, le respect de la raison, l’adoration de l’esprit suprême, le sentiment de la vie universelle : le panthéisme du philosophe de Berlin nous choquera peut-être moins, enseigné avec une sérénité si pure, et les tableaux que découvrira l’artiste, les scènes diverses qu’il va illuminer de sa pensée, nous rappelleront le magnifique épisode des Laboureurs. N’est-ce pas là aussi qu’aspirait ce jeune maître si pieux dans ses audaces, si fervent dans ses témérités, ce noble poète trop tôt enlevé à la philosophie, M. Frédéric de Sallet ? Je me plaçais, comme on voit, sur le terrain même de M. Schefer, quoique je me défie singulièrement de cette poésie métaphysique ; j’acceptais le pro-

  1. Voyez dans la Revue du 15 août 1844, De la Poésie philosophique en Allemagne.