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semences, des instrumens aratoires, et enfin pour l’entretien de la famille pendant trois ans. On ne donnera aucune subvention en numéraire, afin de soustraire le soldat aux tentations qu’excite l’argent en poche. Ceux qui n’auront aucune avance resteront sans capital de roulement. Dès-lors, impossibilité pour eux de choisir des cultures appropriées à la qualité de leurs terres, de prendre au besoin des aides salariés. Qu’une maladie paralyse, à l’époque des semailles ou des moissons, les deux seuls bras qui fertilisent le petit champ, l’année est perdue : il n’en faut pas plus pour ruiner la famille. La faculté laissée aux colons de s’associer pour le travail avec un camarade de leur choix n’aura d’autre effet que de marier deux misères. Les cultures lucratives exigent une mise de fonds et une aptitude spéciale ; les plantations n’entrent en rapport que vers la huitième année. La plupart des soldats-colons, sans autre éducation agronomique que la routine de leurs villages, se borneront à l’entretien de leur petit troupeau, à la culture des grains et des légumes pour leur propre consommation. Un tel régime ne promet qu’une population contrainte et nécessiteuse. L’auteur du projet semble l’avouer : « Quoi qu’on fasse, a-t-il dit, cette existence sera rude au début ; mais, au bout de quatre ou cinq ans, elle deviendra fort tolérable. » Pour accepter ce rude noviciat sur la vague espérance d’un sort laborieux et médiocre au bout de cinq années, il faudrait un sentiment de prévoyance, un esprit de conduite fort rares dans le prolétariat, et surtout parmi des hommes accoutumés au laisser-aller des mœurs soldatesques. Il y aura bien des mécomptes avec les paresseux, les ivrognes, les débauchés, les capricieux, les maladroits, les infirmes. Quelle sera la conduite du gouvernement à l’égard de ceux qui ne répondront pas à ses vues ? Les soutiendra-t-il s’ils tombent dans la misère, ou les remplacera-t-il par de plus dignes ? Reconnaîtra-t-il quelques droits aux femmes délaissées, aux veuves, aux enfans ? En sondant cet abîme de difficultés, on éprouve une sorte de vertige.

M. le maréchal Bugeaud n’a eu jusqu’ici d’autre appui que lui-même. Les échos de la publicité ne lui sont pas favorables. Le gouvernement ne paraît le seconder que par déférence pour sa haute position et ses grands services. Devant les chambres, le système militaire a été condamné avec une vivacité de langage un peu sévère peut-être pour un collègue présent. Dans la dernière discussion sur les crédits supplémentaires consacrés à l’Algérie, le rapporteur s’est exprimé en ces termes : « Cette conception, plus théorique que pratique, n’a jamais été admise par l’administration de la guerre. Plusieurs de vos commissions l’ont examinée et l’ont condamnée. Notre opinion est absolument la même. La majorité de votre commission est convaincue qu’après d’énormes dépenses pour mettre ce système en pratique, on s’apercevrait qu’il repose sur des illusions. » On assure que, malgré cette sentence,