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du 21 juillet, qui imposait comme sanction définitive de la propriété l’obligation d’installer une famille par 20 hectares, n’a-t-elle pas été frappée de nullité, pour ainsi dire, par la résistance des colons qui l’ont déclarée inexécutable ? Demander au domaine de vastes étendues de terres sous la promesse d’y attirer des habitans, et puis, la concession acquise, exagérer les difficultés de la mise en culture pour échapper aux charges du contrat, telle a été jusqu’ici la tactique des agioteurs, qui, malheureusement, sont en majorité parmi les détenteurs du sol colonial. Il y a donc des motifs de suspicion contre ce prétendu patronage des grands propriétaires : il a donné lieu à plusieurs supercheries. Rien n’est plus facile que de faire élever au milieu d’un champ un amas de bicoques et d’y réunir des familles au rabais le jour où l’inspecteur de colonisation doit passer. Lorsqu’on s’est ainsi mis en règle et que les titres définitifs sont obtenus, on laisse végéter et périr de faim les pauvres diables qui ont paradé le jour de la visite, et dont il serait d’ailleurs impossible d’obtenir de bons services. Ce tour, à ce qu’on assure, n’est pas le plus ingénieux de ceux qui ont été faits. Il est hors de doute que les trois quarts des personnes qui sollicitent des concessions à charge d’y établir des familles européennes prennent un engagement au-dessus de leurs moyens. Nous lisons dans le livre qui renferme le plus de détails pratiques sur la colonisation, celui de MM. Rameau et Binel, ces conseils caractéristiques donnés aux entrepreneurs : « Il ne faut pas s’embarrasser de familles amenées d’Europe à grands frais, et qui, après vous avoir grugé de mille façons, vous quittent au moment où vous en avez besoin. Le pays et l’émigration naturelle fournissent assez de monde pour nous dispenser d’une pareille charge. »

Nous avons achevé la revue des faits et des idées. Dans ce chaos d’événemens, d’expériences, de systèmes, de rêveries, il y avait un choix à faire le bon sens public s’en est chargé. Deux principes ont surnagé : l’un, admettant qu’il y a urgence de libérer la métropole, veut que, pour hâter ce résultat, l’état dirige l’entreprise et en assume les charges ; ce système est celui de la colonisation militaire dont M. le maréchal Bugeaud est le promoteur. Le principe opposé découle de la doctrine du laisser-faire : il confie l’organisation de l’Algérie aux seules inspirations de l’intérêt individuel. Le procédé qu’il adopte est celui qui a eu jusqu’ici le meilleur résultat ; c’est l’introduction des familles ouvrières par les grands spéculateurs. Reste à savoir, dans cette combinaison, comment les ouvriers seront choisis, quelles conditions devront leur être faites, quelles garanties ils trouveront au besoin contre leurs patrons, quel intérêt ils pourront prendre au succès de l’œuvre algérienne, quelle sera enfin l’action du gouvernement dans l’ensemble des faits. M. le général de Lamoricière a essayé de résoudre ces