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l’éclosion d’un peuple est un de ces phénomènes que la grande industrie peut seule produire, mais que chez nous les capitaux sont timides, qu’ils ne se lancent jamais dans l’inconnu comme les capitaux anglais, et que le seul moyen de les attirer est de les prémunir contre la peur en leur assurant un minimum de revenu, ainsi qu’il a été fait à l’origine des chemins de fer. Ce double point, garantie d’un minimum d’intérêt, à charge pour les compagnies de concourir activement à la défense du pays, dans la mesure du cautionnement offert par l’état, est, nous en sommes certain, la combinaison la plus économique et la moins chanceuse : c’est le mode par lequel il eût été heureux de commencer, c’est celui auquel on se ralliera, quand viendra l’heure des mécomptes et du découragement. Tout en félicitant M. Lingay d’avoir entrevu le principe, nous regrettons qu’il n’ait pas cherché les moyens de le rendre praticable. Ses énonciations vagues, disséminées dans l’ouvrage, semblent contradictoires lorsqu’on les rapproche avec la malice qu’y a mise, par exemple, M. Desjobert, et les adversaires de la colonie semblent autorisés à dire que les esprits les plus judicieux battent follement les campagnes de l’Afrique quand ils poursuivent l’œuvre impossible. Après avoir demandé « la garantie du minimum d’intérêt, pour toutes les entreprises formées dans le but de développer largement la colonisation (page 177), » l’auteur estime (page 248) que chaque famille de colons civils à installer coûterait 5,000 francs ; mais aussitôt, remarquant qu’un million de familles absorberait 5 milliards, il recule d’épouvante devant l’énormité de ce chiffre, et déclare qu’il y aurait folie à pousser le gouvernement vers un abîme de sacrifices. Il aurait fallu du moins dire dans quelles limites et à quelles conditions on pourrait obtenir l’appui du crédit public. La mesure à observer n’est pas moins importante pour le capitaliste que pour l’état lui-même. En effet, si la caution du trésor n’était pas habilement ménagée, l’affluence du capital en Afrique provoquerait un mouvement industriel désordonné et conduirait à un désastre aussi bien que le manque d’argent. La question vitale, celle du travail, n’est pas même soulevée directement. M. Lingay dit négligemment que les ouvriers des champs devraient être intéressés au succès de la colonie en qualité de fermiers ou de métayers, mais il ne paraît pas entrevoir les difficultés que présenteraient ces deux modes d’exploitation dans un pays désert et inculte. Si M. Lingay s’est proposé seulement de réchauffer les sympathies de la France pour l’Algérie, il y a réussi ; le retentissement qu’a eu son livre le prouve. Quant aux idées qu’il a semées au hasard dans le domaine de la discussion, elles ne porteront leurs fruits que lorsque l’étude les aura fécondées.

M. l’abbé Landmann poursuit avec un zèle apostolique un plan d’association chrétienne pour l’affermissement de la puissance française en