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100,000 familles, soit 500,000 ames environ. M. le général de Lamoricière veut 75,000 ames dans son triangle d’Oran. M. le docteur Bodichon, médecin à Alger, en demande 30,000 seulement pour le Sahël. M. l’abbé Landmann a rabattu ses prétentions à 50,000 personnes. Le trop plein de la France, dit M. Lingay, est de 4 millions d’hommes ; il faut le déverser en Afrique. Le chiffre des colons étant déterminé, on cherche par quels moyens on les empêchera de mourir de faim. On ne fabrique pas ainsi un peuple. Créez d’abord des intérêts, assurez des situations, et la population se développera d’elle-même. Donnez tous vos soins à un petit nombre d’entreprises, en vous préoccupant beaucoup moins de la quantité que de la qualité des hommes qu’elles emploient, constituez ces entreprises vigoureusement et loyalement, assurez-leur même, par des sacrifices, le prestige du succès industriel. Quand on se dira en France que chefs et ouvriers ont trouvé leur compte à ce succès, cent autres entreprises se formeront, et ces dernières en enfanteront mille. Tous les peuples ont commencé par l’exploitation des terres de choix : c’est sur ce fait que Ricardo a basé sa célèbre théorie de la rente foncière. Entre les groupes industriels qui réussiront, une foule flottante se glissera à la longue. C’est ainsi que naît un peuple, et non pas d’après des combinaisons stratégiques. Au lieu d’être abolies tout d’un coup, les charges du gouvernement, les dépenses de l’armée, ne pourront être réduites qu’en proportion du succès de ces centres d’exploitation : il est vrai, mais ce procédé, bien qu’il contrarie l’impatience des esprits systématiques, est en réalité le plus court et le plus sûr. Il y a une mesure naturelle et infranchissable pour le développement d’une population qui doit vivre par l’industrie agricole : c’est l’état des débouchés. En agriculture comme en toute autre fabrication, la difficulté n’est pas de produire, c’est de vendre sûrement et à des prix avantageux. Une exploitation bien entendue est celle qui distribue ses travaux suivant l’importance et la sécurité des débouchés. Supposez qu’il fût possible de jeter en Afrique des masses imposantes de population : elles seraient violemment comprimées, si la somme de leurs produits était hors de proportion avec les issues commerciales. Que 100,000 familles se mettent à produire du blé, vivront-elles dans l’abondance ? Non, elles dépériront de privations et de misère, s’il arrive une série de récoltes assez généralement riches pour avilir le prix des grains. Quoi qu’on fasse, une population coloniale ne se développe et ne s’affermit jamais que suivant la mesure de sa prospérité industrielle ; il n’y a donc aucun inconvénient à ne commencer l’œuvre du peuplement que par un petit nombre d’entreprises.

Rapprochons les idées qui viennent d’être développées. La colonisation de l’Afrique doit coûter très cher par la nécessité de se défendre contre les Arabes, d’offrir un appât aux capitalistes dont on a besoin,