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intelligences les plus communes. Vainement écarte-t-il avec un soin extrême les qualités qu’il suppose antipathiques à ses lecteurs dégénérés malgré lui, à son insu, ses anciennes habitudes l’emportent encore par momens, et le ramènent au temps où, stimulé par une ambition plus noble, au lieu de rivaliser avec la plèbe des conteurs nouveaux, il aspirait à effacer les gloires passées, à remplacer Maturin, Walter Scott, à éclipser Hook et Plumer Ward dans leurs tableaux fashionables, à défier la critique sévère des Lockart et des Macaulay.

Ainsi, dans toute la première partie de Lucretia, vous rencontrerez des tableaux d’intérieur, des physionomies, des caractères, qui rappellent la meilleure manière et les meilleurs jours de l’écrivain. L’intérieur de Laughton-Priory, les manies, les préjugés du vieux sir Miles, son orgueil héréditaire constamment aux prises avec la générosité de son cœur, tout, jusqu’à la date exacte de son élégance, jusqu’aux particularités de son costume, en fait un portrait excellent. Vous diriez les touches exactes et fines de notre Meissonnier, et la vigueur de ses daguerréotypes au pinceau. Sir Miles est un gentleman de la vieille école, encore poudré en 1800, un digne contemporain de lord Chesterfield, un digne convive des petits soupers de mistress Clive ; son jabot de dentelle est saupoudré du meilleur martinique ; sa canne à poignée transversale, son petit chapeau à bras, sa tabatière d’émail encadrant un portrait de femme, ses trois ou quatre pipes en terre cuite, — car les houkahs, les mirschaums n’étaient pas encore à la mode, — indiquent nettement la destinée et les transformations de cet ex-beau devenu gentilhomme campagnard, autrefois célèbre dans les chroniques de boudoir, depuis héros populaire des county-meetings et des festivals agricoles.

Vernon appartient à une autre génération, et mille détails caractéristiques le distinguent de son oncle. Ce dernier était un beau ; Vernon est un buck. Les bucks, que les dandies ont remplacé, faisaient état de mépriser la tendance madrigalesque et l’esprit gourmé de leurs prédécesseurs. Ils mettaient leur gloire à se montrer plus virils, plus énergiques, plus robustes que ces copistes efféminés des belles manières françaises. Pour briller parmi eux, il fallait boire sec, jouer gros jeu, être bon écuyer, bon cocher, ferme joueur de paume, ne reculer devant aucune débauche, si dangereuse et si fatigante qu’elle fût, enfin mener la vie comme une course à fond de train, et dépenser largement les trésors de force ou de santé qu’on avait reçus du ciel. Un buck qui survivait à son orageuse jeunesse était un homme pour long-temps éprouvé ; mais bon nombre des jockeys engagés dans ce redoutable tournoi mouraient avant d’avoir franchi la moitié de l’hippodrome. Soit dit en passant, nous avons eu en France, et vers la même époque, une espèce d’élégans analogue à celle-ci et copiée d’après elle. Ils florissaient vers le début de la révolution ; quelques-uns se retrouvent parmi les muscadins