voulait la condenser en cinq actes : si bien qu’il finit par se rebuter de cet ingrat travail, et que, tenté par les souvenirs d’Eugène Aram, il essaya de donner un pendant à ce livre remarquable, son plus incontestable titre à la renommée.
À certains égards, sir Edward Bulwer peut se flatter d’avoir réussi. Son livre a rappelé sur son nom à demi effacé les éclairs orageux de la critique. De tous côtés, on fulmine contre l’auteur de Lucretia ces anathèmes religieux, ces réquisitoires sociaux que la moralité de nos voisins, toujours en éveil, prodigue si aisément dès qu’elle croit apercevoir, dans un ouvrage de quelque valeur, des tendances dangereuses. Et bien que Bulwer ait pris toutes les précautions imaginables pour se préserver de ce genre d’accusations, bien qu’il se soit complu à faire ressortir, en toute occasion, le but philosophique de son roman, la presse indignée n’en continue pas moins à tonner contre lui, comme si les scandales de Don Juan étaient à la veille de désoler la pudique Albion. Un lecteur français a grand’ peine à s’expliquer ces scrupules excessifs, et nous en sommes réduit à faire un retour sur nous-même pour nous bien assurer que la lecture de nos romans-feuilletons ne nous a pas complètement démoralisé, quand nous voyons une réprobation si générale accueillir, en Angleterre, un récit qui nous a paru si simple. Au surplus, c’est après l’analyse du livre qu’on pourra décider si la sévérité, en cette occasion, n’a pas été poussée jusqu’à l’intolérance.
Lucretia est un drame en deux parties. Chacune de ces parties enserre un grand nombre d’événemens, et constitue un récit complet. Cependant les catastrophes qui remplissent la seconde moitié du roman sont liées par un rapport très direct à celles que raconte la première. Les deux principaux acteurs ne cessent pas d’occuper la scène, et l’auteur a mis un soin extrême à nuancer chez eux le progrès des passions qui les conduisent, de crime en crime, jusqu’aux derniers excès de la dépravation humaine. Tel a été son dessein, telle est la tâche qu’il s’est donnée et qu’il définit ainsi : « La présence du mal en ce monde, ô mortel ! ne doit t’inspirer ni terreur ni doutes. Humble admirateur de l’œuvre divine, impose silence à ton cœur pour qu’il puisse refléter, miroir toujours fidèle, l’ombre aussi bien que la lumière. Vainement chercherais-tu à comprendre la signification morale d’un paysage, si ton ame cédait à l’aveugle plaisir des sens. Il te faut deux ailles pour t’envoler aux cimes élevées que la vérité habite… L’une est noire comme l’ébène, l’autre resplendit du même éclat que la neige : — celle-là, triste comme ta raison quand elle plonge au fond des abîmes ténébreux ; — celle-ci, triomphante comme ta foi quand elle monte vers l’étoile du matin. » Il faut donc connaître le mal dans ses principes secrets, dans ses plus horribles conséquences, et cette science est nécessaire