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Je résume ainsi les propositions qui précèdent : abandon de l’échelle mobile ; établissement d’un droit fixe, uniforme, pour tout le territoire, de 2 fr. environ par hectolitre, à l’entrée seulement, et modification correspondante du droit sur les farines ; dans un délai de quelques années, on déciderait s’il n’y a pas lieu d’abandonner le droit fixe lui-même ; dès à présent franchise complète du maïs ; construction de docks dans nos principaux ports et autorisation de la mouture en entrepôt sans restriction ; suppression des surtaxes de navigation sur les blés ; admission sans distinction d’origine des blés venant des entrepôts d’Europe.

Plus d’un agriculteur réclamera, je ne l’ignore pas, contre ces idées. On dira que l’agriculture a besoin d’être protégée, qu’elle est écrasée d’impôts, et que, si le prix des grains n’est pas soutenu, sa ruine est imminente. Oui, assurément, l’agriculture a droit à toute la bienveillance du gouvernement ; mais, de toutes les formes que peut prendre la protection, celle qui consiste à enchérir artificiellement les denrées, et à mettre un impôt sur le consommateur au profit de telle ou telle classe de producteurs, est la pire. Elle est la moins intelligente, puisqu’elle étend ses bienfaits à l’inertie et à l’indolence aussi bien qu’à l’homme industrieux qu’anime le feu sacré du progrès. Les seuls encouragemens qui soient valables sont ceux qui perfectionnent le travail en lui-même. J’appelle une protection qu’un gouvernement éclairé peut avouer et qu’un agriculteur peut recevoir la tête haute, toute mesure administrative qui fera venir, par l’effet d’un travail bien ordonné, dix hectolitres de blé là où l’on n’en récoltait que cinq, qui tendra à accroître la puissance du travail du cultivateur ou l’énergie productive des terres, ou qui fera dériver vers l’agriculture les capitaux qu’elle cherche et qu’elle ne trouve pas. Le reste est ou une aumône ou un tribut que la loi peut imposer au pays, mais que la raison et l’équité ne sauraient admettre.

Dans le système dit protecteur, l’agriculture est dupée, car elle y perd plus qu’elle n’y gagne. Ce qu’elle paie aux autres industries protégées n’est point balancé, à beaucoup près, par ce qu’elle en reçoit. Si l’on compare la prime perçue par le cultivateur qui se livre à la production des bêtes à cornes à celle qui est attribuée aux maîtres de forges, et si on l’évalue par rapport au capital mis dehors, on trouve que les parts respectives sont dans le rapport de 1 à 80. Nos producteurs de grains, sont naturellement protégés par le trajet que le blé étranger est forcé de parcourir avant de s’embarquer, par le voyage qu’il subit au travers des mers, par les frais de débarquement et d’entrepôt qu’il supporte, par la distance qu’il parcourt depuis le port de débarquement avant d’atteindre le consommateur de l’intérieur. C’est pourtant de quelque importance. Que si l’agriculture est dans une situation plus digne de pitié que d’envie, si elle est écrasée par l’impôt, rongée par l’usure, si