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Les environs de Paris offraient le spectacle d’une complète rébellion. Sous prétexte de la cherté des grains, des brigands brûlaient des granges, incendiaient des fermes, coulaient à fond des bateaux de blé. Ils se présentent à Versailles, et ils y font la loi ; de là ils viennent à Paris piller les boulangers. Le lieutenant de police les laissait faire, le parlement couvrit les murs de Paris d’un arrêt qui défendait les attroupemens, mais qui portait que le roi serait supplié de diminuer le prix du pain. L’homme illustre et dévoué à la cause populaire qui était alors contrôleur-général des finances, et que, poussé par la fatalité, Louis XVI devait bientôt éconduire, Turgot, chargea aussitôt l’autorité militaire de placarder l’arrêt du parlement d’une ordonnance qui interdisait d’exiger le pain au-dessous du cours. Le lieutenant de police fut destitué ; le parlement, qui voulait connaître des troubles dans l’intention de contrecarrer les intentions libérales du ministre, fut convoqué à Versailles pour enregistrer une proclamation du roi par laquelle les auteurs de la révolte étaient renvoyés, conformément aux lois en vigueur, à la juridiction prévôtale. Une armée de vingt-cinq mille hommes, commandée par un maréchal de France, poursuivit les émeutiers dans tous les sens et protégea la circulation des grains. C’est par ces actes décisifs que Turgot, ministre, faisait triompher le principe qu’auparavant il avait soutenu dans des écrits destinés à honorer sa mémoire, que l’achat et la vente des grains étaient un commerce tout comme un autre ; que plus qu’un autre encore, dans l’intérêt de la société, il réclamait une liberté entière.

Parallèlement aux préjugés contraires à la liberté intérieure du commerce des grains, on en rencontre dans l’histoire économique de l’Europe un autre qui lui ressemble beaucoup et qui n’a pas exercé moins d’influence, au détriment de la prospérité des nations. C’est celui qui faisait considérer l’or et l’argent comme la richesse par excellence, l’unique vraie richesse, et qui, par conséquent, en interdisait l’exportation. Les esprits avancés en sont depuis long-temps complètement revenus ; mais le vulgaire et les gouvernemens ont été plus lents à s’en défaire : la multitude y croit encore, et il pèse beaucoup plus qu’on ne le supposerait sur le système économique des grands états de l’Europe. C’est que les préjugés et la sottise, lorsqu’ils se sont bien impatronisés quelque part, ne donnent pas facilement leur démission. Nous allons en acquérir une preuve de plus par l’exposé succinct de ce qui s’est passé après Turgot dans l’administration française au sujet du commerce des grains.

Fidèle au drapeau qu’avaient élevé et fait respecter les grands esprits du XVIIIe siècle, la constituante abolit à l’intérieur et à l’extérieur toutes les entraves qui gênaient le commerce des grains. La convention, qui, en vertu des événemens et par son penchant, était placée en dehors de