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pour parer à une perte de salaire qu’on évaluait à 2 millions par mois. Après avoir délivré des feuilles de route aux ouvriers qui n’étaient pas domiciliés à Lyon et qui appartenaient à des départemens un peu éloignés, après en avoir casé quelques-uns dans les villes voisines, et déduction faite de ceux qui, ayant des économies, étaient en état d’attendre, il restait encore environ six mille ouvriers sans ouvrage, et par conséquent sans pain. Ne leur eût-on donné que 20 sous par jour, ce qui eût été une maigre pitance, la dépense quotidienne serait montée à 6,000 fr. Tout ce que possédait la commission eût été absorbé en quatre semaines, et la crise a duré environ huit mois. La commission, à titre d’entrepreneur ordinaire, prit en adjudication, de la ville, de l’administration militaire, des ponts-et-chaussées, la construction d’un entrepôt, d’un abattoir, d’une route, d’un cimetière, de plusieurs forts et d’une digue, ouvrages qu’il eût fallu exécuter dans tous les cas. Ce fut la planche de salut des malheureux ouvriers. On ouvrit successivement des ateliers sur divers points où ils vinrent en foule. Un minimum de salaire de 30 sous par jour fut assigné à chacun : mais, pour déterminer les travailleurs à bien faire, on s’engagea à leur donner davantage toutes les fois qu’ils produiraient au-delà d’une tâche déterminée. Tout ouvrier faisant un supplément de besogne pouvait gagner jusqu’à 3 francs par jour, ce qui, dans un temps de détresse, pouvait presque passer pour de la prodigalité. On prit d’ailleurs les mesures les plus strictes pour que chaque ouvrier reçût le prix de sa journée exactement. On plaça les hommes mariés ou vivant en famille dans les ateliers les plus rapprochés de la ville, afin que le salaire pût être dépensé dans le ménage, et on organisa, pour les ouvriers des ateliers les plus éloignés, des cantines où les vivres étaient livrés à prix coûtant. Tout ce que la vigilance la plus attentive peut imaginer pour adoucir une situation cruelle fut mis à exécution. Les ouvriers purent se convaincre de la justice, de l’impartialité, de la sympathie de ceux qui les commandaient. Le préfet, M. Rivet, déploya en cette occasion un zèle infatigable. Un des membres de la commission, qui en fut l’ame, M. Monmartin, ancien officier du génie, paya de sa personne, durant cette longue crise, avec un dévouement et un désintéressement sans bornes. Ce fut lui qui organisa et qui dirigea les travaux. Il allait chaque jour parcourant les ateliers, encourageant les travailleurs, les animant par ses exhortations et ses avis, paternels, leur faisant aimer l’ordre par son équité et sa bienveillance en même temps qu’il le leur faisait respecter par sa fermeté. Son dévouement et son activité électrisèrent si bien ces braves gens, qu’ils mirent une sorte de point d’honneur à se bien acquitter de leur tâche et qu’il y apportèrent de l’ardeur. Les travaux s’exécutèrent bien et promptement. 5 à 6,000 ouvriers vécurent de la sorte pendant près de huit mois. Il faut dire cependant qu’il n’y a jamais eu plus de 1,600 ouvriers