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SCÈNES DE LA VIE MEXICAINE.

rompue ; le salteador, le brigandage érigé en dictature, imposant des lois et se faisant presque magnanime : ce contraste m’en disait plus que de longues recherches sur la décadence morale de la société mexicaine.

Le lendemain de bonne heure ; M. D… frappait à ma porte accompagné d’un des hommes de la bande du proscrit, le Zurdo, qui venait, de la part de son chef, chercher la rançon convenue : le chef avait tenu sa parole et me rappelait la mienne. La longue barbe, les habits souillés, la figure amaigrie de mon malheureux compatriote, ne me faisaient que trop deviner les mauvais traitemens qu’il avait eu à subir. Le Zurdo nous quitta en nous promettant, foi de salteador, que l’homme dont la dénonciation avait valu à M. D… ce fâcheux démêlé avec la justice serait exemplairement puni. Cette assurance nous consola médiocrement. L’essentiel était maintenant de partir sans encombre ; il fallait attendre la nuit. La journée s’écoula sans qu’aucun homme de loi se fût présenté à notre domicile. La nuit venue, nous en laissâmes encore passer les premières heures, afin d’attendre le moment où les clartés douteuses de l’aube nous permettraient de faire route sans craindre de nous égarer. Enfin le ciel s’éclaira un peu ; nous sellâmes silencieusement nos chevaux, et nous quittâmes sans regret une ville qui ne nous laissait à tous deux que de tristes souvenirs.

Nous ne respirâmes à l’aise que quand nous fûmes à une lieue de San-Juan, galopant à toute bride sous les frais ombrages d’une avenue d’arbres du Pérou. Nous ne nous doutions guère que le petit drame où nous avions été involontairement acteurs allait dérouler devant nous sa dernière scène. Une voix lamentable qui traversa tout à coup le silence de la nuit nous enleva fort désagréablement à la demi-sécurité que quelques instans de course rapide nous avaient rendue. — Au galop ! dis-je à M. D… Nous avons été vus, et un moment d’hésitation nous perdrait.

Nous pressâmes nos chevaux déjà haletans ; mais ceux-ci se cabrèrent et, malgré nos coups d’éperons, refusèrent d’avancer. Ils semblaient reculer devant quelque objet effrayant. Alors, en interrogeant du regard les profondeurs des allées latérales, nous aperçûmes, à quelques pas devant nous, six hommes immobiles, chacun devant autant de troncs d’arbres. Ce pouvait être une nouvelle troupe de salteadores qui nous attendaient au passage pour nous dévaliser ; mais les lamentations de ces hommes, que nous entendîmes bientôt plus distinctement, vinrent nous rassurer.

— Pour l’amour de Dieu ! disait l’un, me laisserez-vous sans me secourir ?

— Au nom de la sainte Vierge ! disait l’autre, seigneur cavalier, venez-nous en aide !

Nous vîmes alors que tous ces malheureux, que nous avions pris pour