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d’un sujet emprunté à l’histoire du même peuple. Pour prendre un exemple d’hier, interrogeons les Deux Foscari de Verdi, représenté avec succès au Théâtre-Italien. En quoi cette musique, remarquable d’ailleurs à divers titres, en quoi cette musique nous parle-t-elle de Venise ? Voilà bien des cavatines où la brise de mer aura del’ mare, joue son rôle obligé :

<poem<Soufflez dans mes cheveux, vents de l’Adriatique.</poem>

Voilà des duos et des quatuors où j’entends qu’il est fort question du doge et (le la république ; et jamais personne n’oubliera cette scène des Dix assemblés en conseil et célébrant en chœur leur inviolabilité, leur grandeur et leur puissance inexorable, ni plus ni moins que cet impayable tribunal de la Gazza ladra :

Inesorabile
Che in lance pondera
L’umano oprar.


Avec cette unique différence qu’ici les robes rouges remplacent les soutanes noires ; mais de cet indomptable orgueil, de cet égoïsme féroce du lion de Saint-Marc, comme aussi des ardeurs dévorantes, des incurables mélancolies de ces climats de feu, pas un souvenir, pas une trace ; rien de la gondole insouciante qu’un rhythme léger berce sur le gouffre où s’engloutissent les mystères de l’inquisition d’état, rien de ce carnaval dans la terreur, de ces langueurs divines qu’on respire à si chaudes bouffées et comme un vent d’orage dans le troisième acte d’Otello ; rien enfin de cet certo estro de Venise si délicieusement rendu dans la poétique nouvelle d’Hoffmann :

Ah ! senza amare
Andar sull’ mare
Col sposo del mare,
Non puo consolare !

Si de la partition de Verdi nous remontons au poème dramatique qui l’a inspirée, nous trouverons la même absence de couleur. On se demande ce qui, dans un pareil sujet, a pu séduire Byron ? L’anecdote peut-être. En effet, le trait de ce Loredano couchant sa haine contre les Foscari sur ses livres de commerce, et réglant ses comptes de vengeance ni plus ni moins qu’une créance ordinaire, devait au premier abord tenter l’imagination d’un poète ; il y a du pur sang de Venise dans cette étrange façon d’agir. L’histoire me semble même si bien à sa place, que, si elle n’existait pas, on aurait dû l’inventer pour peindre ces habitudes de négoce au sein de l’aristocratie, ces instincts de marchand sous la pourpre qui caractérisaient les illustres patriciens de la sérénissime république. Maintenant, quand on y réfléchit, un pareil sujet est-il du ressort du théâtre ? comment reproduire à la scène ce que l’anecdote a de profondément original. Je n’ai pas vu représenter la tragédie de Byron, mais je sais qu’au dénoûment de la pièce italienne ce personnage, tirant de dessous sa cape rouge un microscopique calepin et faisant mine de biffer une adresse du bout de son crayon, me paraît assez médiocrement répondre à l’idée qu’on se propose de cette vengeance en partie double tenue avec une ponctualité si solennelle. Je le répète, il n’y a dans tout cela qu’une anecdote. A la vérité, nous ne savons rien qui tente davantage