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qu’il lui avait donnée. Il mourait au bruit de la victoire d’Austerlitz, mais malheureusement il avait préparé 1814 et Waterloo. L’Angleterre est depuis plusieurs siècles un pays trop fortement organisé pour qu’aucun ministre puisse y déployer un génie organisateur comme chez un peuple où il y aurait table rase ; mais elle a trouvé dans M. Pitt précisément les qualités et les passions nécessaires pour lutter d’abord contre la convention, puis contre Napoléon. Les adversaires de M. Pitt avouaient eux-mêmes qu’il était né ministre. C’était l’homme nécessaire de son pays : la gloire de l’homme d’état peut-elle aller plus loin ? Il nous semble que, sur ce point, l’illustre historien du consulat et de l’empire n’a pas apprécié assez haut la valeur politique de certains faits qu’il a lui-même racontés et signalés.

On se tromperait fort si l’on s’imaginait que tout l’intérêt du sixième volume de M. Thiers est concentré dans le récit des événemens militaires. On a déjà pu reconnaître que les négociations diplomatiques tiennent dans son livre une grande place : vers la fin du volume, les efforts tentés à la mort de M. Pitt pour renouveler la paix entre l’Angleterre et la France, et les négociations avec la Russie qui avait envoyé un agent à Paris, M. d’Oubril, sont racontés en détail. Ainsi le lecteur ne perd jamais de vue l’Europe politique et ses représentans. Pour l’histoire intérieure de la France, la richesse des détails n’est pas moindre dans le livre de M. Thiers. Le budget de l’empire, les causes qui, pendant un moment, avaient amené une disette de numéraire, le mécanisme de nos finances, sont expliqués avec cette lucidité facile qui est une des habitudes de l’historien. À cette occasion, des faits jusqu’alors peu connus ont été par lui mis en lumière ; nous voulons parler des rapports de la compagnie des négocians réunis, tant avec le gouvernement français qu’avec la cour d’Espagne. Ouvrard donnait l’essor à son esprit aventureux ; mais Napoléon ne voulait pas permettre à des spéculateurs de disposer des ressources de l’état, et, à son retour d’Austerlitz, il fit déclarer la compagnie des négocians réunis débitrice envers le trésor de 141 millions. Ce fut sur les calculs et les vérifications de M. Mollien, devenu ministre, que cet énorme débet fut établi. Le gouvernement s’empara de tout ce que possédaient les négocians réunis, puis Napoléon exigea qu’on mît le trésor français au lieu et place de la compagnie à l’égard de l’Espagne. Cet épisode de notre histoire financière a été puisé aux sources les plus authentiques : M. Thiers a eu à sa disposition les mémoires de l’archichancelier Cambacérès, ceux de M. Mollien, également inédits, enfin les archives du trésor. Si Napoléon était aussi sévère sur la manutention des deniers de l’état, c’était pour les appliquer à de grands travaux d’art et d’utilité publique. Son historien le montre restaurant l’église de Saint-Denis, élevant sur une des places de Paris une imitation de la colonne trajane, projetant l’achèvement