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MABILLON ET LA COUR DE ROME.

après la prière, la principale occupation des moines, et il montre ce qu’il faut étudier et comment on doit étudier. Pour le cloître, c’était un appendice à la règle, une réforme salutaire et rendue nécessaire par les progrès de la civilisation et des lumières ; pour l’érudition, c’était une méthode. Aussi ce livre fut-il traduit dans toutes les langues de l’Europe, et reproduit en Italie sous le titre de Schola mabilloniana ; mais, quoique inspiré par les sentimens les plus purs, quoique honoré des plus nobles suffrages, il fut pour Mabillon une source de vifs chagrins, en l’engageant malgré lui dans une polémique contre l’abbé de Rancé. Le célèbre réformateur prétendait que recommander aux moines les travaux de l’esprit, c’était irriter leur orgueil ; Mabillon soutenait au contraire que la vraie science conduit à l’humilité. Rancé apporta dans la querelle toute la fougue, tout l’emportement de ses premières années, et il alla même jusqu’à reprocher à son adversaire d’avoir écrit contre sa propre conviction. « Je puis tomber dans l’erreur, répondit le pieux bénédictin, aussi bien que les autres ; hommes, je puis encore tomber dans des contradictions ; mais que j’écrive contre ma propre conviction, j’espère, avec la grace du Seigneur, que cela ne m’arrivera jamais. » Rancé voulut répliquer de nouveau, des amis communs s’interposèrent, et le voyage que fit Mabillon à l’abbaye de la Trappe, en 1693, amena une réconciliation qui est restée célèbre dans l’histoire des querelles littéraires. Voici en quels termes Mabillon lui-même rend compte, dans une lettre adressée à son collègue Estiennot, de l’entrevue qu’il eut avec l’abbé de Rancé : « Je parlai quatre fois à M. l’abbé, la première sans dire un seul mot de notre contestation. À la seconde, M. l’abbé commença par dire qu’il ne savait pas si nous n’aurions pas été fâchés de ce qu’il avait écrit contre moi ; à ces mots, je l’embrassai, et lui, moi, tous deux à genoux, et je répondis que son écrit n’avait donné aucune atteinte au respect et à la vénération que j’avais eus pour lui. Il m’ajouta que, lorsqu’on était pénétré d’une certaine vérité, on disait quelquefois les choses d’une manière un peu vive, mais qu’il me priait d’être persuadé qu’il avait pour notre congrégation, et pour moi en particulier, tous les sentimens d’estime et de cordialité qu’on pouvait avoir, et qu’il était bien aise de faire cette déclaration en présence du père avec qui j’étais. » Huet, Arnauld, Nicole, Fleury, se rangèrent, dans cette querelle, du côté de Mabillon, et, il devait en être ainsi, car, en prenant toujours pour guide sa conscience et sa conviction, le pieux bénédictin portait, dans les questions en apparence les plus indifférentes, une vigueur de raisonnement, une rectitude de critique qui ne laissaient pas la moindre place au doute, et la force de ses convictions, le sentiment de la vérité historique, éclataient avec tant de puissance dans ses moindres travaux, que l’un des prélats les plus distingués de la cour de Rome, le cardinal Aguirre, lui écrivit un jour : « Je vous ai lu lentement, car la langue française ne m’est point familière ; mais j’ai pu dire avec le philosophe : Ce que j’ai compris, je l’approuve ; ce que je n’ai pas compris, je le crois. » En effet, l’érudition, pour Mabillon, n’était point une œuvre de curiosité stérile ; il en faisait, pour les vertus révélées par le christianisme, ce que les anciens avaient fait de l’histoire pour les vertus civiques, une règle et une doctrine, et souvent même il en déduisait des conséquences toutes pratiques. C’est ainsi que dans un passage extrait des Réflexions sur les prisons des ordres religieux, il expose, ainsi que l’a remarqué pour la première fois M. Valery, tout le système de l’emprisonnement cellulaire.