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MABILLON ET LA COUR DE ROME.

son fils, parce qu’elle ignorait qu’il le fût, on permettait à un jésuite de Bruges de dire en chaire qu’il était licite, quand les filles perdues tombaient malades, de leur procurer la mort, pour les empêcher de retourner à leurs désordres dans le cas où elles guériraient, mortem procurare ne in vomitum redeant, si convalescant ; mais on ne souffrait pas qu’un embarras de voitures vint gêner les bons pères dans une cérémonie : d’un crime aussi grave on faisait prompte justice. L’abbé de Caserte, qui se trouvait dans l’une des voitures, était banni pour six ans de l’état de l’église, son cocher envoyé aux galères, et deux dames de qualité, coupables du même délit, « condamnées à avoir leur maison pour prison, sans en pouvoir sortir que les fêtes et dimanches, pour aller entendre la messe dans une église voisine et non ailleurs, et encore à pied et sans pouvoir y aller ni là ni ailleurs en carrosse, et cela jusqu’à… on ne sait. » À la manière dont ces anecdotes et d’autres du même genre sont racontées, il est facile de voir que nos bénédictins, sans se croire hérétiques et même sans être jansénistes, pensaient des jésuites ce qu’en pensaient Pascal et Arnauld. Il est vrai, et cette opinion a bien aussi quelque poids, que Fénelon était d’un avis tout-à-fait différente ; qu’il était même, à ce qu’il paraît, très affectionné aux jésuites, et que ceux-ci, de leur côté, lui rendaient estime pour estime, jusqu’à défendre auprès de la cour de Rome le livre des Maximes des Saints, contre lequel étaient ameutés tous les théologiens du temps.

L’impression produite sur les bénédictins français par le gouvernement espagnol de Naples fut toute différente de celle que leur avait fait éprouver le gouvernement romain. « Le vice-roi, dit Michel Germain, gouverne avec une justice, une sévérité et une application qui fait mettre le plus bel ordre qu’on ait peut-être jamais vu. Il est inflexible. Ses meilleurs amis, s’ils font mal, sont les plus rudement châtiés. Il a le don de commander. Ni homme ni femme ne porte aucun or ni argent sur ses habits. Tous les hommes presque sont vêtus de noir, les personnes de l’autre sexe la plupart de même, et dans une très grande simplicité. C’est comme dans les vieux tableaux de la nef d’Amiens. Il y a une si grande sûreté dans la ville et partout ailleurs, jour et nuit, que depuis deux ans et demi on n’a entendu parler que de deux meurtres. »

Ce qui flattait surtout les pieux collègues de Mabillon, c’est que les Napolitains ne témoignaient aucune indisposition contre la France, qu’ils en parlaient avec modération, qu’ils étaient pleins du haut mérite du roi, et qu’ils rendaient justice aux grands hommes du grand règne. « Descartes, dit à ce propos la Correspondance, Descartes a les plus beaux esprits de Naples pour sectateurs. Ils sont avides des ouvrages faits pour sa défense et pour éclaircir sa doctrine : nos libraires de Paris en débiteraient s’ils avaient ici commerce. Ces savans ne sont pas jésuites. Tout Italiens qu’ils sont, ils ne les épargnent pas, même en leur présence ; je m’en suis étonné. C’est pourtant ce que j’ai remarqué ici et ailleurs ; c’est peut-être que fin contre fin ne vaut rien à faire doublure. »

Nous ne suivrons pas nos bénédictins dans leurs excursions de couvent en couvent, de bibliothèque en bibliothèque ; c’est un soin que nous laissons aux érudits et aux bibliographes curieux d’étudier en détail l’histoire de la découverte d’un manuscrit, de la rectification d’une date, de l’épuration d’un texte. Nous indiquerons seulement pour mémoire aux touristes de l’érudition moderne, comme un guide et comme un spécimen, toute la partie de la Correspondance