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dehors l’homme illustre qui en est le chef reconnu) le nom le plus éminent. Les Essais de Philosophie et le livre sur Abélard, les premiers par la généralité et la difficulté des problèmes métaphysiques, le second par les rares ressources de pensée et de langage déployées dans la discussion des questions les plus ardues de la scholastique, maintiennent à l’auteur un tel rang à titre de philosophe et d’historien de la philosophie.

Ce n’est pas le moment d’entrer dans des particularités philosophiques : ce ne serait pas d’ailleurs faire connaître M. de Rémusat, que d’analyser, par exemple, les beaux chapitres sur Reid, Kant, Descartes, sur la matière et sur l’esprit ; je ne m’attache ici qu’au but et au caractère des Essais ; et l’idée que j’y trouve fortement empreinte est celle-ci : « Trouver une philosophie adaptée à la société telle que l’a faite l’application des grands principes de 1789, une philosophie qui puise au plus profond de la nature humaine, interrogée par une psychologie consciencieuse, la vraie solution politique qui convient à l’époque présente, comme en général à toute société d’hommes bien organisée. » Hautement professée dans l’Introduction, exprimée dans les chapitres si nets et si hardis sur les Causes du scepticisme, clairement insinuée dans la plupart des autres essais, telle est la pensée dominante qui dirige l’auteur. Sa méthode, durant tout le cours de telle ou telle méditation métaphysique, de telle ou telle appréciation de penseur, est d’un philosophe qui paraît uniquement jaloux de trouver le vrai sur l’ame humaine ; mais son dessein secret et sa conclusion avouée est d’un politique qui ramène à l’application sociale ce que la théorie a découvert. Cela suffit à établir ce que nous disions de cette alliance, chez M. de Rémusat, des vues du spéculatif et de l’homme pratique.

La foi, une foi profonde, énergique, dans la puissance de l’esprit humain, voilà ce que n’a pas cessé de professer très nettement M. de Rémusat. La philosophie, pour lui, n’est pas seulement un haut emploi de l’intelligence, elle est une croyance qui, comme toute autre, a sa sainteté. Il y croit comme à la raison qu’elle exprime et qu’elle explique tout ensemble, comme au progrès qu’elle manifeste et qu’elle sert. De là cette persistance avec laquelle il attaque le scepticisme sous toutes ses formes, tantôt comme une fausse conviction de l’esprit, tantôt comme un douloureux état de l’ame, tantôt comme une lâche indifférence. Pour lui, le scepticisme n’est pas seulement le fléau de la philosophie, c’est une maladie sociale, c’est un danger public.

C’est par une analyse plus étendue et plus vraie des conditions de la pensée et par une étude plus approfondie des principes, qu’il examine dans ses causes cette funeste doctrine. A ceux qui y tombent pour vouloir tout comprendre et tout expliquer, il montre les bornes nécessaires