Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/312

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fatiguée des excès du despotisme, s’élançait vers la liberté avec une confiance généreuse et des espérances illimitées. Dans la lutte du juste et de l’injuste, M. Royer-Collard ne pouvait pas ne pas prendre parti. Il servit la révolution contre les privilèges. N’ayant guère plus de vingt-cinq ans, il fut nommé président de la section de l’île Saint-Louis, et l’on ne peut s’empêcher de sourire en songeant que le futur théoricien de la monarchie constitutionnelle, que le grave philosophe que nous avons connu (c’est un trait que M. Royer-Collard aimait à raconter dans sa vieillesse), était souvent alors reconduit jusqu’à sa demeure avec des transports d’enthousiasme par les porteurs d’eau qui formaient la majorité de ses commettans. Mais à de glorieux essais, aux fêtes si fraternelles de la révolution pure de sang, succédèrent de hideuses saturnales. Aucun de ces deux spectacles ne fut perdu pour M. Royer-Collard. Il s’était pénétré de la grandeur de la liberté et de l’égalité civile ; il comprit ce que c’est qu’une liberté sans contrôle et un pouvoir sans contre-poids. C’est de ce temps, en effet, que date la lutte de cette ame si ferme dans la modération contre tous les excès, quelle qu’en soit l’origine. Il n’attendit pas 93 pour protester avec énergie contre la tyrannie des clubs et le gouvernement par la populace, et, quand il vit s’évanouir ses dernières espérances de liberté sage et de royauté respectée, portant le deuil de la constitution dans son cœur, il s’éloigna de Paris. Il alla demander, dans le lieu même de sa naissance, l’oubli du mal à l’étude, à la réflexion la conviction consolante que les excès n’ont qu’un temps. La crise en effet passa, et M. Royer-Collard revint à Paris en 1797 comme député de son département aux cinq-cents, où il plaida pour le rappel des déportés et contre le serment exigé des prêtres, et où il s’associa à toutes les mesures de modération. C’est à cette époque que, frappé de la fragilité des établissemens essayés tour à tour, convaincu qu’il faut au gouvernement un élément de stabilité qui ne peut être fourni que par le passé, et fidèle encore au beau projet de 89 de faire adopter la liberté à l’ancienne race royale, il commença à mettre en avant le dogme de la légitimité. Le 18 fructidor le surprit au milieu de ses espérances royalistes et le frappa même en annulant son élection sans ébranler ses convictions politiques. M. de Rémusat a donné de sa conduite et de ses principes à cette époque une explication empreinte d’un haut caractère de vérité et d’intérêt. Il a parlé de la légitimité, avec une impartialité qui convient à l’histoire et qui sied bien aux vainqueurs ; rendre justice à tout ce qu’il y eut de vrai ou au moins de vraisemblable, de bon ou au moins d’honnête dans cette conception politique, c’était montrer ce qui était capable d’y séduire un esprit et une ame d’une telle trempe. Pour la plupart, en effet, la légitimité fut alors une passion chevaleresque, une affaire d’imagination et de cœur ; pour M. de Talleyrand, elle fut, en 1815, au congrès de Vienne, un