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imposante et inattendue. C’est ainsi qu’on put observer deux phases bien distinctes dans ces grandes batailles où commanda Nelson : la première, flottante et douteuse ; la seconde, foudroyante et décisive. De bons canonniers auraient assurément modifié le dénoûment de ces drames sinistres, car ils auraient écrasé l’armée anglaise dès le premier acte, Fait pour surprendre la fortune par son audace plutôt que pour l’enchaîner par ses manœuvres, Nelson enleva donc pour ainsi dire nos escadres à la baïonnette. Il fut le Suwarow, et non pas, comme on l’a prétendu, le Bonaparte des mers[1].

Les combats d’Aboukir et de Trafalgar ont bouleversé les anciennes notions de stratégie maritime : les ont-ils remplacées par les lois d’une stratégie infaillible, d’une stratégie que nos amiraux aient intérêt à étudier ? Il est sans doute plus d’une circonstance où ils pourraient s’aider de ces aventureuses traditions ; mais cette stratégie, nous croyons l’avoir suffisamment démontré, ne peut être que la stratégie des forts contre les faibles, des marines aguerries contre les marines peu exercées ; et ce n’est point contre de telles marines que nos vaisseaux ont à se préparer, c’est contre un ennemi qui se souvient des leçons de Nelson, qui serait prêt encore à les appliquer, si nous n’avions à lui opposer que de nouveaux ordres de bataille et non point de meilleures escadres. Il y a pour nous, dans la dernière guerre, de plus sérieuses études à faire que des études de tactique. Les Anglais n’ont dû leurs triomphes ni au nombre de leurs vaisseaux, ni à la richesse de leur population maritime, ni à l’influence officielle, ni aux combinaisons savantes de leur amirauté. Les Anglais nous ont vaincus parce que leurs équipages étaient plus instruits, leurs escadres mieux disciplinées que les nôtres ; Cette supériorité fut le fruit de quelques campagnes ; ce fut l’œuvre de Jervis et de Nelson. C’est donc ce travail lent et secret dont il faut épier les mystères ; c’est Nelson organisant son armée qu’il faut essayer de bien connaître, si l’on veut comprendre le Nelson qui combat avec une heureuse audace. Ce sont les moyens qu’il faut s’attacher à découvrir, si l’on aspire à toucher le but.

Qu’était Nelson avant Aboukir ? L’élève chéri, l’associé de Jervis, l’admirateur passionné du grand comte qui introduisit le premier, dans la

  1. « Serrer l’ennemi de près afin de l’accabler le plus rapidement possible, telle fut, en somme, toute la tactique de lord Nelson. Il savait que les évolutions compliquées sont sujettes à de telles méprises qu’elles produisent la plupart du temps des effets diamétralement contraires à ceux qu’on en attend. Les vaisseaux anglais, mieux manœuvrés que les vaisseaux français et espagnols, montés par des canonniers qu’on avait exercés à servir à la fois leurs pièces des deux bords, ne pouvaient, d’ailleurs, que gagner à une mêlée. Toute circonstance de nature à porter le désordre dans les deux armées était donc, aux yeux de Nelson, une nouvelle chance de succès pour la flotte anglaise, et on peut dire qu’il eût compté un coup de vent ou une nuit obscure comme un renfort de deux ou trois vaisseaux en sa faveur. » (James’s Naval History.)