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dans les porte-haubans des vaisseaux, comme ils avaient renversé les mâts et brisé les vergues. Le Swiftsure, le San-Juan, le San-Ildefonso et le Bahama, moins maltraités que les autres prises, trouvèrent seuls le moyen de mouiller sous le cap Trafalgar. Ce furent aussi les seuls trophées que les Anglais parvinrent à conduire à Gibraltar. A minuit, la tempête éclata dans toute sa violence. Si le vent n’eût passé alors de l’ouest au sud-sud-ouest et n’eût, par ce changement inespéré, éloigné l’escadre de la côte, toute l’habileté de Collingwood n’eût point sauvé d’une destruction complète un seul de ces vaisseaux en ruine. Collingwood saisit ce moment pour virer de bord, mais, malgré cette chance heureuse, il n’en fallut pas moins de prodigieux efforts, tels qu’on en pouvait à peine attendre même de ces vieux croiseurs formés à l’école de Jervis et de Nelson, — pour entraîner au large cette flotte mutilée, plus nombreuse que la flotte qui s’empressait autour d’elle. Vingt-quatre heures après sa victoire, l’armée anglaise avait déjà perdu cinq des vaisseaux qu’elle avait capturés : le Redoutable coulait bas sous la poupe du SWIFTSURE, qui le remorquait ; le Fougueux se brisait à la côte près de Santi-Petri ; l’Aigle, abandonné par les vaisseaux qui l’escortaient, le Bucentaure et l’Algésiras, repris sur les Anglais par les débris de leurs équipages héroïques, essayaient de gagner Cadix.

La tempête se calmait à peine, que Collingwood eut à craindre un nouveau danger. Le 23 octobre, par un trait d’audace qui montrait toute la fermeté de son ame, le capitaine Cosmao, sous l’impression sinistre d’un si grand désastre, osa reprendre la mer et braver encore une fois l’escadre anglaise. Suivi de 2 autres vaisseaux français, 2 vaisseaux espagnols, 5 frégates et 2 bricks, le Pluton, faisant trois pieds d’eau à l’heure, avec un équipage réduit à 400 hommes et 9 canons démontés, se porta à la rencontre des vaisseaux anglais qui remorquaient le Neptuno et la Santa-Anna, et les contraignit à lâcher prise. Les frégates françaises ramenèrent ces deux vaisseaux espagnols au port. Redoutant de nouvelles attaques, Collingwood se décida à brûler l’Intrépide et le San-Augustino, à couler la Santissima-Trinidad et l’Argonaéta. Le Monarca, et le Berwick, qu’il espérait sauver, se perdirent près de San-Lucar. Cependant la tempête, en ravissant à l’armée anglaise ces précieux gages de son triomphe, ne porta pas un coup moins sensible aux débris de notre armée. Le Bucentaure, au moment d’entrer dans Cadix, se creva sur le banc de roche appelé les Puercos ; l’Aigle s’échoua devant Puerto-Real ; l’Indomptable qui, mouillé devant Cadix, avait reçu l’équipage du Bucentaure, se jeta à son tour sur la chaîne de récifs qui borde la ville de Rota ; le San-Francisco d’Asis se perdit sur les rochers du fort de Sainte-Catherine ; le Rayo, à l’embouchure du Guadalquivir ; et, comme si la fatalité qui poursuivait la malheureuse armée de Villeneuve et de Gravina n’était point épuisée encore, les