Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/266

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lutte est trop inégale ; le second du Fougueux, le capitaine de frégate Bazin, est blessé ; 400 hommes sont hors de combat ; les Anglais s’élancent dans les grands haubans du Fougueux, se rendent maîtres du pont et amènent eux-mêmes le pavillon du vaisseau français.

Au moment où le Fougueux et le Redoutable succombaient sous l’effort des trois-ponts anglais, la Santa-Anna, démâtée de tous mâts depuis près d’une demi-heure, se rendait au vaisseau de Collingwood. Ce fut la première victoire remportée à l’arrière-garde. Les Anglais avaient rencontré dans cette partie de la ligne une résistance inattendue. Isolé au milieu des vaisseaux français, le Belleisle, après avoir repoussé le Fougueux, supportait depuis une heure le feu de l’Achille, de l’Aigle et du Neptune. Démâté de ses trois bas-mâts, et comme enseveli sous cet amas de voiles et de cordages, ce vaisseau anglais garde encore ses couleurs au tronçon de son mât d’artimon. Il essuie nos volées sans pouvoir y répondre ; mais bientôt les secours lui arrivent de toutes parts. Le Polyphemus vient s’interposer entre lui et le Neptune ; le Defiance l’abrite du feu de l’Aigle ; LE SWIFTSURE le salue de trois acclamations et se précipite vers l’Achille.

Au vent de ces vaisseaux, une lutte terrible s’est déjà engagée entre le Mars et le Pluton, entre le Tonnant et l’Algésiras. Le Mars voit son commandant emporté par un boulet ; le Pluton, qui porte le guidon de l’intrépide capitaine Cosmao[1], se dispose à tenter l’abordage, quand un nouveau peloton de vaisseaux anglais l’oblige à se retirer.

L’Algésiras, abordé par le Tonnant, se montre également digne de sa haute réputation ; mais la position qu’occupe le Tonnant donne au vaisseau anglais un trop grand avantage. Le beaupré engagé dans les haubans du Tonnant, l’Algésiras ne peut se servir de son artillerie et reçoit un feu roulant d’enfilade. Le contre-amiral Magon, jaloux de guider ses marins à bord du vaisseau anglais, les rallie sous ce feu meurtrier et combat avec eux au premier rang. Atteint déjà au bras et à la cuisse, il refuse de quitter le pont ; il cède cependant aux instances de ses officiers. Deux matelots l’entraînent ; un biscaïen vient alors le frapper à la poitrine. Il tombe au moment où le mât de misaine est déjà abattu. Presque au même instant, le feu se déclare dans la fosse aux lions ; le grand mât et le mât d’artimon couvrent le pont de leurs débris. Le capitaine de pavillon Letourneur, le lieutenant de vaisseau Plassan, ont été grièvement blessés. Un jeune officier que la mort a respecté, et auquel l’avenir réserve de plus heureux combats[2], M. Botherel de La

  1. Les matelots du Pluton avaient, dans leur langage énergique, donné à leur capitaine ce glorieux surnom qu’il a porté et mérité pendant toute cette guerre : Va-de-bon-cœur.
  2. M. Botherel de La Bretonnière, aujourd’hui contre-amiral, commandait le vaisseau le Breslau au combat de Navarin.