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à son capitaine de pavillon au moment où, après avoir essuyé pendant dix minutes le feu de l’armée combinée, il allait plonger enfin dans les rangs de notre arrière-garde), que ne donnerait pas Nelson pour être à notre place ! » « Voyez, s’écriait en même temps Nelson, comme ce noble Collingwood conduit bravement son escadre au feu ! » Collingwood, en effet, a montré le chemin à la flotte anglaise et cueilli les prémices de la journée.

Le Fougueux essaie vainement de l’arrêter. Du triple étage de canons qui garnissent les flancs du Royal Sovereign s’élancent des torrens de fumée et de fer. Chaque pièce, chargée à doubles projectiles, est dirigée dans la poupe de la Santa-Anna. 150 boulets ont sillonné de l’arrière à l’étrave les batteries de ce vaisseau et laissé sur leur passage 400 hommes hors de combat. Le Royal Sovereign se range alors au vent et engage vergue à vergue le vice-amiral espagnol ; mais il a bientôt d’autres ennemis à combattre : le San-Leandro, le San-Justo et l’Indomptable accourent pour l’entourer ; le Fougueux dirige sur lui un feu d’écharpe. Ses voiles sont bientôt en lambeaux. Cependant, au milieu de ce tourbillon de boulets qu’on vit se heurter dans l’air[1], le Royal Sovereign ne presse pas moins vivement l’adversaire qu’il a choisi. Le feu du vaisseau espagnol s’est ralenti, et, au-dessus du nuage de fumée qui enveloppe ce groupe héroïque, l’œil inquiet de Nelson peut distinguer encore le pavillon de Collingwood.

Le vent cependant a déjà trahi l’armée anglaise. Filant à peine un nœud et demi, le Victory se traîne péniblement vers la Santissima-Trinidad et le Bucentaure, pendant que Collingwood, seul au milieu de l’armée combinée, tient en respect les vaisseaux qui l’assiégent. À midi vingt minutes, le Victory est enfin à portée de canon de notre escadre. Un premier boulet tiré par le Bucentaure n’arrive point jusqu’à lui ; un second vient tomber le long du bord ; un troisième passe au-dessus de ses bastingages. Un boulet plus heureux traverse le grand perroquet. Nelson appelle le capitaine Blackwood. « Retournez à bord de votre frégate, lui dit-il, et rappelez à tous nos vaisseaux que je compte sur leur concours. Si, en se conformant à l’ordre de marche que je leur ai signalé, ils devaient rester trop long-temps hors du feu, qu’ils n’hésitent point à en adopter un autre. Le meilleur sera celui qui les conduira le plus promptement possible bord à bord d’un vaisseau ennemi. » En parlant ainsi, il reconduit jusqu’au bord de la dunette le capitaine de l’Euryalus. Blackwood saisit la main de l’amiral, et, d’une voix émue, lui exprime l’espoir de le revoir bientôt en possession de 20 vaisseaux français et espagnols. « Dieu vous bénisse, Blackwood ! lui répond Nelson ; mais je ne dois plus vous revoir en ce monde. »

  1. Correspondance de l’amiral Collingwood.