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la flotte, si pendant le combat ils ne peuvent apercevoir ou comprendre parfaitement les signaux de leur amiral, qu’ils se rassurent : ils ne peuvent mal faire, s’ils placent leur vaisseau bord à bord d’un vaisseau ennemi. »

À ces nobles paroles, à cette exposition si simple et si profonde des plus féconds principes de la tactique navale, la chambre de conseil du Victory, où se trouvaient alors réunis les officiers-généraux et les capitaines de l’escadre, retentit d’un long cri d’enthousiasme. « On eût dit, écrivait Nelson, l’effet d’un choc électrique. Quelques officiers furent émus jusqu’aux larmes. Tous approuvèrent ce plan d’attaque. On le trouva nouveau, imprévu, facile à comprendre et à exécuter, et depuis le premier des amiraux jusqu’au dernier des capitaines, chacun s’écria : L’ennemi est perdu, si nous pouvons le joindre. »

Dans le camp opposé, on se préparait aussi au combat : là régnait la même activité, la même abnégation, mais non la même confiance. Gravina, « complet en tout, même en bonne volonté, » suivant l’expression du général Beurnonville, se déclarait prêt à partir, ranimait de son mieux son escadre abattue, et partageait en secret les craintes trop fondées de l’amiral Villeneuve. Ce dernier, l’officier le plus instruit, le tacticien le plus habile, quoi qu’on en ait pu dire, mais non le plus ferme esprit que possédât alors la marine française, pressentait avec désespoir les projets de son habile adversaire. « Il ne se bornera pas, disait-il à ses officiers, à se former sur une ligne de bataille parallèle à la nôtre et à venir nous livrer un combat d’artillerie… Il cherchera à entourer notre arrière-garde, à nous traverser, à porter sur ceux de nos vaisseaux qu’il aura désunis des pelotons des siens pour les envelopper et les réduire. » En vue d’opposer à cette tactique inusitée une tactique semblable, il songeait alors à ne présenter en ligne qu’un nombre de vaisseaux égal à celui des vaisseaux anglais. Le reste de la flotte se rangerait sous les ordres de Gravina et composerait un corps de réserve destiné à voler au secours des vaisseaux compromis.

Ce plan avait été formé quand l’ennemi n’avait que 21 vaisseaux devant Cadix. Il était devenu impraticable depuis les renforts qu’avait reçus Nelson. Il ne suffit pas d’ailleurs de concevoir de nouveaux ordres de marche et de combat, de préparer des concentrations rapides, des conversions inattendues : il faut avoir surtout des vaisseaux en état d’exécuter ces mouvemens difficiles. Les évolutions navales sont trop délicates de leur nature pour être à la portée d’une armée qui n’a point eu le temps de se reconnaître. Elles exigent une sûreté de coup d’exil, une précision dans la manœuvre que les officiers les plus instruits ne possèdent pas toujours, que ceux même qui les ont possédées ne retrouvent souvent plus au même degré après une longue inaction ou le jour d’un premier appareillage. Aussi Villeneuve, effrayé des complications