Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/244

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Vous nous renvoyez, milord (lui dit le contre-amiral Louis qu’il chargea du commandement de cette division), l’ennemi sortira pendant notre absence, et nous manquerons l’occasion de le combattre. » Il fallait bien pourtant, malgré les provisions qu’on recevait sous voiles, se résoudre à ravitailler ainsi la flotte par détachemens ou se préparer à lever un jour le blocus pour conduire la flotte entière à Gibraltar. Prendre ce dernier parti, c’eût été permettre à Villeneuve de sortir de Cadix, et Nelson savait que l’Angleterre, tout émue encore des dangers qu’elle venait de courir, n’aurait point de pardon pour une pareille faute.


VIII.

La réunion des forces anglaises à l’entrée de nos ports laissait le champ libre aux 5 vaisseaux partis de Rochefort. Cette escadre, composée de bâtimens de choix et dont la bonne fortune ne devait pas se démentir, s’était déjà emparée du vaisseau le Calcutta et d’un convoi de baleiniers ; elle avait failli capturer près d’Oporto le vaisseau l’Agamemnon, avant que sir Richard Strachan, détaché avec 5 vaisseaux et 2 frégates à sa poursuite, eût pu réussir à se mettre sur sa trace. Le capitaine Lallemand, promu récemment au grade de contre-amiral par l’empereur, pouvait donc entrer à Cadix aussi soudainement que le contre-amiral Salcedo, et cette double jonction eût porté en un instant l’armée combinée à 46 vaisseaux de ligne. En admettant que Nelson n’eût point alors de détachement à Gibraltar et que sir Richard Strachan, ainsi que le contre-amiral Knight, chargé du blocus de Carthagène, s’empressassent de rallier son pavillon, la flotte anglaise n’eût pu dépasser, malgré cette concentration de forces, le chiffre encore inférieur de 40 vaisseaux. Nelson, pour tout prévoir, supposa ces diverses jonctions effectuées, et dressa son plan d’opérations sur cette base, la plus large qui pût se présenter.


« Je pense (dit-il à ses capitaines dans le memorandum qu’il leur adressa) qu’il est presque impossible de ranger une flotte de 40 vaisseaux en ligne. Les vents souvent variables dans ces parages, le temps presque toujours brumeux, mille circonstances imprévues nous exposeraient, si nous tentions cette manœuvre, à une perte de temps qui nous ferait manquer très probablement l’occasion d’une affaire décisive. Au lieu d’avoir à passer d’un ordre à un autre en présence de l’ennemi, je veux que l’ordre de marche de l’armée puisse être en même temps l’ordre de combat. La flotte naviguera donc ordinairement sur deux colonnes. Si nous avons 40 vaisseaux, chaque colonne en contiendra 16, et les 8 meilleurs marcheurs, pris dans les vaisseaux à deux ponts, formeront une escadre détachée. Cette escadre, prête à se porter sur celle des deux colonnes que je lui désignerai par signal, pourra toujours former, s’il est nécessaire, une ligne de bataille de 24 vaisseaux. »