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il voulut ressaisir l’Angleterre qui lui échappait et amener encore Villeneuve devant Brest. Quand l’entrée de l’armée combinée dans Cadix renversa ses dernières espérances, l’empereur ne s’en prit qu’à Villeneuve. Il l’accusa de manquer de résolution et de calomnier ses vaisseaux. Villeneuve, en effet, par ses dispositions chagrines, était peu propre à cette expédition ; mais il fut moins coupable qu’on est généralement disposé à le croire : en associant aux opérations de son escadre les vaisseaux espagnols, l’empereur lui confia une tâche plus difficile que celle qu’il avait fait accepter à Latouche-Tréville. Quelques mois plus tard, quand, poussé à bout, cédant, pour ainsi dire, à l’emportement de son génie, il en appela de l’indécision de Villeneuve à l’intrépidité de nos marins, quand il renonça à tourner cette marine anglaise qu’il avait craint de faire aborder de front par nos escadres, quand il voulut que notre pavillon osât prendre l’offensive, il revint ce jour-là au véritable principe de toute guerre maritime ; mais il oublia (ce fut un malheureux oubli) quels vaisseaux étaient alors enfermés dans Cadix.


VI.

Le jour où la violence du cabinet britannique jeta l’Espagne dans notre alliance, toutes les sources où puisaient les ministres de Charles IV se trouvèrent à la fois taries. Jusque-là, les subsides des colonies, les revenus des douanes, le produit des mines du Mexique et de l’Amérique du Sud, avaient suppléé à l’impôt foncier inconnu en Espagne, et couvert d’une apparence de prospérité la profonde misère de cette malheureuse monarchie ; mais, quand les croiseurs anglais eurent fermé les ports de la Péninsule au commerce maritime et aux trésors du Nouveau-Monde, la détresse du gouvernement espagnol apparut dans toute sa nudité. Au mois d’octobre 1805, les vieux souverains n’avaient déjà plus un écu pour se faire charroyer du palais de Saint-Ildephonse à l’Escurial[1]. Une affreuse disette, suivie de la fièvre jaune, qui ravagea principalement les côtes de l’Andalousie et du royaume de Murcie, avait décimé la population du littoral ; les magasins et les arsenaux étaient épuisés, les caisses publiques entièrement vides, le ministère perdu dans l’opinion du pays. C’est à ce pays ruiné qu’un allié tout-puissant demandait une flotte auxiliaire, le complément du subside annuel consenti par l’Espagne au temps de sa neutralité, et l’extraction de 5 millions de piastres destinées à faciliter la circulation du numéraire en France. Le prince de la Paix, que notre ambassadeur se vantait de faire marcher la gaule à la main, avait tout accordé. En moins de six mois, il avait tiré du néant 29 vaisseaux de ligne, et, si les arsenaux eussent été moins dépourvus de matériaux, le général Beurnonville n’eût point

  1. Lettre du général Beurnonville à l’amiral Decrès.