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avait reçu les restes mortels de Latouche-Tréville. Les officiers de l’escadre voulurent que ces précieuses dépouilles reposassent aux lieux mêmes d’où ce chef regretté avait vu pour la dernière fois s’éloigner les vaisseaux ennemis. Sur le sommet du cap Sepet, ils élevèrent un monument à sa mémoire. Le corps de Latouche y fut transporté, et, au milieu d’une foule attendrie, Villeneuve prononça sur sa tombe ces touchantes paroles : « De cette hauteur qui domine la rade et nos vaisseaux, l’ombre de Latouche-Tréville inspirera nos entreprises. Il sera pour ainsi dire toujours présent au milieu de nous. Les yeux souvent tournés vers son tombeau, nous puiserons dans cette vue ce zèle infatigable, ce courage à la fois prudent et intrépide, cet amour de la gloire et de la patrie, qui, sujets éternels de notre estime et de nos regrets, doivent l’être encore de notre constante émulation. Marins, ils seront sans cesse l’objet de la mienne ; le successeur de Latouche vous le promet. Promettez-lui qu’aux mêmes titres il sera sûr d’obtenir de vous la même fidélité et le même attachement[1]. »


II.

L’Espagne, dont l’empereur recevait secrètement un subside annuel de 48 millions, n’était point encore engagée dans cette guerre. Peu de temps après la mort de Latouche-Tréville, une avide et odieuse agression l’obligea à sortir de la neutralité qui convenait si bien à sa faiblesse et à notre politique. Le 5 octobre 1804, quatre frégates espagnoles, chargées de trésors considérables, furent arrêtées devant Cadix par la division du capitaine Moore. Attaqué par des forces supérieures, le contre-amiral Bustamente, qui commandait la division espagnole, se défendit en homme de cœur. Neuf minutes après le commencement de l’action, l’explosion de la frégate la Mercedes rendit la lutte plus inégale encore. La Medea, que montait Bustamente, la Clara et la Fama, qui combattaient à ses côtés, durent amener successivement leur pavillon devant le vaisseau rasé l’Indefatigable et les frégates la Medusa, l’Amphion et le Lively. L’Espagne répondit à ce vol à main armée par une

  1. L’amiral Latouche a joui dans notre marine d’une immense réputation, et, si j’en dois croire les souvenirs encore pleins de fraîcheur d’un officier dont la frégate a porté son pavillon, cette réputation était méritée. Ces souvenirs ont confirmé pour moi le témoignage de l’amiral Villeneuve. Cet officier, duquel Latouche écrivait : Vous dire du bien de notre brave et excellent capitaine de haut bord serait porter de l’eau à la rivière ou de l’or au Pactole, possède encore plusieurs lettres intimes de Latouche-Tréville. Il est facile d’y reconnaître ces traits si bien choisis par Villeneuve dans l’éloge funèbre qu’il prononça sur la tombe de l’illustre amiral, « la sûreté et les charmes de son commerce, les agrémens de sa conversation, cet art d’allier le plaisir et une franche gaieté au sérieux des affaires. »