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moi. M. Latouche s’aventure souvent en dehors du cap Sepet. Qu’il ait la bonté de venir jusque par le travers de Porquerolle, et nous verrons de quel bois sont faits ses vaisseaux… Toutes ses manœuvres n’ont été jusqu’ici que des gasconnades. Cependant je ne doute pas que, dès qu’il recevra une mission, il ne soit homme, pour l’accomplir et exécuter ses ordres, à courir le risque de nous rencontrer et de nous combattre. »

Tout prouvait, en effet, que Latouche aurait eu ce courage. Dans le mois de juillet 1804, deux de nos frégates, qui croisaient en dedans des îles d’Hyères pour chasser de ce bassin quelques corsaires anglais, se trouvèrent contraintes par un calme plat de mouiller sous le château de Porquerolle. Nelson en eut connaissance et résolut de les attaquer. L’île de Porquerolle, qui couvre une partie de la baie d’Hyères, peut être tournée par ses deux extrémités. Nelson détacha vers l’est deux frégates et un vaisseau, afin de couper la retraite à nos bâtimens, et se porta vers la petite passe avec le reste de son escadre. L’amiral Latouche déjoua cette manœuvre ; en quatorze minutes, ses 8 vaisseaux étaient sous voiles et faisaient route vers l’ennemi. Nelson n’avait alors que 5 vaisseaux à opposer à l’escadre française. Il s’empressa de rappeler le vaisseau et les frégates qu’il avait détachés dans l’est de Porquerolle, et opéra sa retraite sous petites voiles, comme le lion qui s’éloigne, prêt à se retourner contre le chasseur. L’irritation de Nelson fut extrême, quand il apprit quelques jours plus tard, par les journaux français, que Latouche-Tréville s’était vanté de l’avoir poursuivi jusqu’à la nuit. « Je garde cette lettre de Latouche, écrivait-il à ses amis, et, par le Dieu qui m’a créé, si je le rencontre, je veux la lui faire avaler. » Ces grossières bravades ont flatté les passions de la foule et contribué à la popularité de Nelson ; mais l’histoire à son tour les recueille, et c’est pour exprimer le regret que de telles pauvretés soient sorties de ce grand cœur, que tant de faiblesse ait pu s’unir à tant de gloire.

Une année cependant s’était écoulée, et la flotte française n’avait point encore quitté Toulon. « Ces vaisseaux, écrivait Nelson, ne peuvent tarder à prendre la mer ; quelle est donc leur destination ? Est-ce l’Irlande ? est-ce le Levant ? » Son esprit agité errait sans cesse entre ces deux alternatives, Quelquefois il ne mettait point en doute que l’escadre française ne dût sortir de la Méditerranée ; mais, si elle passait le détroit, serait-ce bien vers l’Irlande qu’elle se dirigerait ? N’irait-elle pas plutôt joindre les 7,000 hommes de troupes qu’elle devait embarquer à Toulon aux garnisons de la Guadeloupe et de la Martinique, et s’emparer des Antilles anglaises ? Nelson, songeant à la possibilité d’un pareil plan de campagne, se promettait de passer le détroit à la suite de nos vaisseaux. « Je les poursuivrai jusqu’aux Indes, s’il le faut, » écrivait-il au gouverneur de Malte. Cette opinion était à peine entrée dans son esprit que de nouveaux renseignemens venaient donner une