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en même temps Toulon ; car, de cette île, si la flotte ennemie se dirige vers l’ouest, le vent qui la conduit vous est favorable pour la suivre ; si elle fait route au sud, il faut qu’elle passe à votre portée. Malte ne vaut pas la peine d’être nommée après la Sardaigne, et, si je perdais cette île, je croirais perdre la flotte française. »


Perdre la flotte française, c’était, dans sa présomptueuse confiance, manquer l’occasion de la combattre. Nelson eût trouvé cette fois un rude adversaire. Esprit impétueux et persévérant, Latouche-Tréville était fait pour arracher notre marine à la torpeur où avaient dû la jeter ses derniers revers. A l’âge de cinquante-neuf ans, miné par la fièvre dont il avait rapporté le germe de Saint-Domingue, il montrait encore une activité qui eût honoré la plus robuste jeunesse. C’était la quatrième guerre à laquelle il prenait part, car il avait fait ses premières armes sous M. de Conflans, livré trois combats pendant cette lutte mémorable qui avait affranchi le continent américain, et porté, en 1792, sous les murs de Naples et de Cagliari, ce glorieux pavillon tricolore, devant lequel il brûlait d’humilier l’orgueil de l’Angleterre. Quand il arriva à Toulon, il trouva 7 vaisseaux et 4 frégates mal armés et mal tenus. Les officiers ne couchaient plus à bord de leurs bâtimens que lorsqu’ils étaient de service. En quelques jours, tout changea de face. Les communications furent interrompues avec la terre. L’escadre, mouillée sur des corps morts et prête à filer ses câbles au premier signal, forma une longue ligne d’embossage du fort de l’Éguillette au lazaret ; les frégates prirent poste sous les batteries du fort Lamalgue, et la présence constante des officiers à bord de leurs vaisseaux eut bientôt rendu aux équipages l’activité et la subordination qu’on obtient si aisément des marins français, quand on sait leur en donner l’exemple. Avant que l’amiral Latouche prît le commandement de l’escadre, les frégates anglaises venaient impunément, à l’entrée du goulet, reconnaître nos vaisseaux et juger des progrès de nos armemens. Un vaisseau et une frégate, désignés pour croiser à tour de rôle en dehors de la rade, les obligèrent à se tenir au large. Si l’ennemi faisait avancer des forces plus considérables, un autre vaisseau et une seconde frégate mettaient immédiatement sous voiles, et l’escadre entière se tenait prête à les soutenir. Du haut du cap Sepet, où il s’établissait chaque matin en observation, l’amiral surveillait les croisières ennemies et dictait les mouvemens de son escadre. Ces sorties fréquentes, cette attente continuelle du combat, animaient nos marins et les remplissaient d’enthousiasme et d’ardeur.


« M. Latouche est tout prêt à prendre la mer (écrivait Nelson à ses amis), et, à la manière dont manœuvrent ses vaisseaux, je m’aperçois qu’ils sont bien armés ; mais, de mon côté, je commande une flotte telle que je n’en ai jamais vu, et certes aucun amiral, à cet égard, n’a le droit de se dire plus heureux que