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assigner aux événemens accomplis dans un siècle, dans un lieu déterminé, des causes ignorées jusque-là, mais pourtant revêtues d’un caractère de vraisemblance ? N’est-ce pas compléter, par l’analyse et la peinture des passions, le récit des historiens ? Or, M. Ponsard a-t-il rien fait de pareil ? Il a réduit aux proportions d’une tragédie de cour un des sujets les plus intéressans que présente l’histoire de la France au moyen-âge. A proprement parler, il n’y a, dans Agnès de Méranie, qu’une seule situation : Agnès partira-t-elle, ou ne partira-t-elle pas ? Cette situation unique ne saurait suffire à défrayer les cinq actes d’une tragédie ; aussi ne sommes-nous point surpris que M. Ponsard, malgré l’incontestable talent qu’il a montré dans cette œuvre, n’ait pas réussi à éviter la monotonie. L’obstination de Philippe, l’amour élégiaque d’Agnès, la colère du légat, ne peuvent intéresser l’auditoire pendant trois heures. Le poète a beau faire, les artifices les plus ingénieux du langage déguisent mal l’immobilité à laquelle sont condamnés ces trois personnages ; l’action d’Agnès de Méranie tourne autour d’elle-même au lieu d’avancer.

Il y a dans cette tragédie un sentiment habilement exprimé, pour lequel M. Ponsard a su trouver des accens vraiment pénétrans : toutes les fois qu’il s’agit de célébrer le bonheur de la vie de famille, le poète paraît à l’aise, et sa parole s’épanche en flots abondans. Le dirai-je ? l’expression de ce sentiment forme, à mon avis, la meilleure, la plus solide partie de cette composition. Je ne sais ce qu’en pense aujourd’hui le public ; mais, le premier jour, il a semblé se méprendre complètement sur la valeur des passages consacrés à la peinture des affections domestiques. Il applaudissait de préférence les tirades politiques placées par l’auteur dans la bouche de Philippe-Auguste. Or, ces tirades, écrites d’ailleurs avec talent, n’appartiennent pas au même temps que les personnages. Ce qui devait être applaudi, ce qui est vrai, ce qui est dit avec vivacité, ce qui s’adresse au cœur, a passé presque inaperçu. Ce qui est en contradiction manifeste avec le siècle où vivait Philippe Auguste a trouvé dans l’auditoire une faveur exagérée. Mme Dorval, j’en conviens, a souvent manqué d’élégance et de noblesse, elle semblait oublier le diadème placé sur son front ; mais elle a rendu avec bonheur l’amour conjugal, l’amour maternel, et pourtant l’auditoire s’est montré pour elle avare d’applaudissemens. L’enthousiasme s’est porté avec un aveuglement obstiné sur les parties les plus fausses, les moins acceptables de la tragédie. Toutes les tirades où Philippe parle avec emphase de l’unité politique et législative de la France, du droit romain et de l’université, de la séparation des- pouvoirs spirituel et temporel, ont été accueillies avec une joie, un ravissement que le bon sens ne saurait amnistier. On trouve dans l’histoire le germe des idées que M. Ponsard a prêtées à Philippe-Auguste : il est certain que le rival de Richard a défendu vigoureusement contre le saint-siège les droits de la royauté, il est