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heure, en quelle occasion paraît la noblesse de France ? Elle est représentée par un personnage unique, par Guillaume des Barres ; mais Guillaume des Barres n’est, à proprement parler, que le confident de Philippe-Auguste : il n’agit pas, il n’a pas de rôle vraiment personnel, il n exprime pas les sentimens de la noblesse française. A quelle heure, en quelle occasion est-il question des communes de France ? Il n’est pas dit un mot, dans Agnès de Méranie, de cette puissance formidable qui, profitant habilement des querelles de l’aristocratie et de la royauté, grandissait dans l’ombre et préparait lentement ses futurs triomphes. Ainsi d’un trait de plume M. Ponsard a biffé le clergé, la noblesse et les communes. Qu’a-t-il fait d’Ingeburge, de la reine répudiée ? Il est parlé d’elle pendant toute la pièce ; mais elle ne paraît pas une seule fois. Je sais qu’un tel personnage était difficile à mettre en scène ; je sais qu’il était difficile d’intéresser le spectateur aux douleurs d’une reine répudiée, et qui semblait condamnée à subir la marche des événemens sans pouvoir la ralentir ou la hâter. Pourtant nous savons, par des témoignages irrécusables, qu’Ingeburge n’est pas demeurée inactive dans la lutte engagée entre la couronne de France et le saint-siège. Je crois donc que le poète ne pouvait légitimement se dispenser de mettre en scène Ingeburge. Quant aux relations qu’il devait établir entre Philippe-Auguste. Agnès et Ingeburge, c’est une question que l’histoire n’a pas résolue. A cet égard, le poète avait pleine liberté et ne relevait que de sa fantaisie. Il y avait là, j’en conviens, une difficulté grave ; toutefois il fallait la vaincre et non pas l’éluder.

M. Ponsard a voulu composer sa tragédie avec quatre personnages Philippe-Auguste, Agnès de Méranie, Guillaume des Barres, le légat du pape ; car je ne puis accepter comme personnages un certain comte Robert, ami de Guillaume, et Marguerite, confidente d’Agnès. Réduite à ces élémens, la tragédie était fatalement condamnée à vivre d’une vie factice, à multiplier les tirades, à épuiser toutes les ressources, toutes les ruses de la rhétorique, à prodiguer les dissertations sur tous les ordres d’idées et de sentimens. Elle s’interdisait de gaieté de cœur le mouvement, la variété, l’animation ; elle renonçait volontairement à toute la partie épique du sujet. Le poète, en éliminant successivement le clergé, la noblesse et les communes, faisait d’un drame national un drame de cour. Et en effet, toute la tragédie d’Agnès de Méranie se noue et se dénoue comme si la France n’était qu’un domaine royal incapable de résister aux volontés de Philippe-Auguste. Il y a, je le sais, quelques vers consacrés à la peinture des émotions populaires ; mais ces vers sont si peu nombreux qu’ils passent inaperçus. Quant au légat, qui doit représenter la puissance pontificale, et qui parle au nom d’Innocent III, c’est-à-dire au nom d’une volonté énergique et persévérante, il accomplit assez maladroitement sa mission, car il débute par la menace.