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directement attaqué, ce sont ses sentimens d’ordre et de justice qui sont le plus ouvertement froissés. Sa politique est insultée par ceux-là mêmes qu’en 1830 elle a peut-être sauvés.

D’aussi injurieuses imputations seraient bien de nature à provoquer notre juste ressentiment. Nous ferons mieux toutefois de les négliger et de garder tout notre sang-froid pour nous bien rendre compte de la situation nouvelle créée par l’anéantissement de la république de Cracovie. D’un côté, les trois puissances qui ont consommé cet acte d’iniquité ; de l’autre, la France, l’Angleterre, tous les états constitutionnels grands ou petits, tous ceux qui ont gardé en politique la distinction du bien et du mal, du juste et de l’injuste. Cette situation serait donc bien nette, et l’on en saisirait les conséquences au premier coup d’œil sans le malheureux différend survenu entre la France et l’Angleterre. Tant que les parlemens des deux pays n’auront pas été mis en demeure de se former un avis et d’exprimer une opinion sur la valeur de ce dissentiment, tant qu’ils n’auront pas décidé s’il est sérieux et durable, ou s’il doit passer comme un refroidissement temporaire, toutes choses resteront en suspens. Les puissances provocatrices se tiendront fermes ensemble et attendront. La France et l’Angleterre hésiteront l’une comme l’autre à s’engager seules dans la querelle. On sent bien que, si la contrainte qui résulte de ces relations douteuses n’eût déjà pesé sur les deux gouvernemens, leurs premières démarches auraient eu un caractère plus décidé et auraient mieux répondu à la vivacité des impressions du public. La note de l’Angleterre aux trois cours est connue ; on sait qu’elle n’est pas une protestation formelle. Le secrétaire d’état de sa majesté britannique feint d’ignorer que le territoire de la ville libre de Cracovie ait été annexé à l’Autriche. Il a entendu dire, sans pouvoir y croire, que les trois puissances avaient conçu un pareil projet. Il s’empresse de leur faire observer combien il serait attentatoire aux droits des puissances qui ont signé l’acte final du traité de Vienne. Il finit en exprimant la confiance que ces simples observations suffiront à empêcher la consommation d’une mesure funeste. Le détour de lord Palmerston est un peu apparent, mais il a l’avantage de le tirer d’un assez grand embarras. Personne n’avait oublié cette phrase prononcée devant les communes d’Angleterre, si souvent répétée depuis et relatée tout au long dans l’article de la Gazette de Leipzig : « Il n’échappera pas à la loyauté des cours du Nord que, si les traités de Vienne ne sont pas bons sur la Vistule, ils ne sont pas meilleurs sur le Rhin et sur le Pô. » Lord Palmerston, s’il eût admis la violation des traités comme flagrante et déjà consommée, ne pouvait pas ne pas garder dans sa note quelque chose d’un langage si significatif ; mais aussi comment, dans l’éventualité d’une rupture, prêter de telles armes à la France ? Quant à la note française, on n’ignore pas qu’elle est une protestation formelle et positive :