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commune, et sa prolongation provisoire aurait donné aux cours intéressées toutes les garanties qu’elles étaient en droit d’exiger. L’occupation définitive a été préférée, parce qu’elle était une bravade envers la France et l’Angleterre.

Ce n’est pas la première fois que la Russie a cherché à entraîner les cabinets de Vienne et de Berlin dans de compromettantes démarches. Souvent déjà le czar, qui n’a point de motifs de s’inquiéter de l’opinion des peuples libres, qui met son plaisir à la défier et sa gloire à poursuivre jusqu’au bout la croisade qu’il a entreprise contre l’Europe libérale, avait tenté de surprendre leur prudence. Jusqu’à présent, ces cabinets avaient le plus souvent résisté, se faisant même valoir quelquefois auprès de l’Angleterre et de la France de leur apparente modération, dénonçant les premiers les plans et les projets dont ils avaient reçu confidence. Mais, hélas ! parler avec quelque chagrin de l’humeur inquiète de l’empereur de Russie, donner l’éveil sur son ambition, s’étendre avec complaisance sur la nécessité de la surveiller et de la contenir, puis en même temps faire à chaque occasion décisive ce qui est de nature à rendre cette influence plus redoutable, tel est le rôle accepté depuis seize ans par la Prusse et l’Autriche. Ce qu’il y a de puéril dans cette façon d’agir n’avait jamais été mis dans un aussi grand jour.

Il est évident que la Prusse et l’Autriche n’ont rien à gagner et beaucoup à perdre à la suppression de l’indépendance de Cracovie. Les derniers événemens qui ont éclaté dans les anciennes provinces polonaises n’ont pas déjà si fort tourné à leur honneur. Les agens russes ont été les plus empressés, à cette époque, à faire remarquer, avec un certain orgueil, combien les choses s’étaient passées différemment dans les contrées soumises aux lois de sa majesté l’empereur de toutes les Russies et dans celles qui obéissent à la Prusse et à l’Autriche. Combien de comparaisons humiliantes n’ont-ils pas établies entre l’attitude si ferme, si calme du gouverneur russe à Cracovie, les inquiétudes si visibles des commandans prussiens, et la conduite si imprévoyante d’abord, si brutale ensuite, des autorités autrichiennes en Gallicie ! A s’en rapporter à d’autres commentaires, que nous croyons pour notre compte tout-à-fait calomnieux, les conspirations polonaises qui ont éclaté au printemps dernier n’auraient pris personne à l’improviste ; la police prussienne les connaissait, et, loin de les entraver, leur donnait libre carrière, afin de mettre d’un même coup la main sur tous les affiliés. En Gallicie, les commandans des provinces autrichiennes avaient ordre de laisser la noblesse polonaise s’engager dans cette folle entreprise, afin de pouvoir en finir avec elle en la livrant ensuite aux ressentimens effrénés d’une multitude sanguinaire. Je suis loin de croire, je le répète, à de si abominables calculs ; mais ces bruits offensans circulaient en Allemagne et y trouvaient une certaine créance, et voilà le moment que les gouvernemens d’Autriche et de Prusse ont choisi pour