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ces organes sont parfois bien plus multipliés que chez les mammifères ou les oiseaux. Plusieurs d’entre eux, par exemple, réalisent la fable d’Argus, ou l’étrange conception de Fourier relative au cinquième membre qui doit compléter l’être humain, quand le globe sera couvert de phalanstères. Les étoiles de mer ont un œil bien caractérisé à l’extrémité de chacun de leurs rayons. Les némertes, les planaires, portent souvent sur la face inférieure et supérieure de leur tête cinquante à soixante yeux distincts et quelquefois davantage. M. Ehrenberg nous a fait connaître une petite annélide qui porte deux yeux à la tête et deux autres à l’extrémité de la queue. J’ai retrouvé, soit dans nos mers de Bretagne, soit pendant mon séjour en Sicile, trois espèces bien différentes offrant la même particularité. Enfin les touffes de corallines de Favignana et de Milazzo nourrissent par milliers de petits vers plus étranges encore sous ce rapport, et que j’ai nommés polyophthalmes. Le corps de ces animaux est cylindrique, partagé en anneaux et armé de soies latérales, comme chez les naïs de nos ruisseaux ; leur tête présente trois yeux, dont chacun est formé de deux ou trois cristallins ; chaque anneau porte en outre deux yeux latéraux, où aboutissent de gros nerfs très faciles à apercevoir. Ainsi, indépendamment des trois yeux multiples placés sur la tête, les polyophthalmes en possèdent encore une rangée de chaque côté du corps.

On le voit, nous sommes bien loin de l’époque où Réaumur appelait les méduses des masses de gelée vivante, où Cuvier croyait, avec tous les naturalistes, aux vers parenchymateux. A mesure que les zoologistes ont scruté davantage les mystères du monde inférieur, l’organisation a semblé se compliquer sous leurs yeux, et, revêtant les formes les plus inattendues, a renversé bien des théories basées sur des observations imparfaites. Toutefois gardons-nous de tomber dans un autre extrême. Après avoir admis sans preuves suffisantes, et par une sorte d’à priori, la simplicité organique des animaux inférieurs, n’allons pas conclure les quelques faits déjà connus qu’ils offrent tous une égale complication. Au plus bas degré de l’échelle zoologique, il existe des êtres chez lesquels tous les actes vitaux s’accomplissent à la fois et de la même manière sur tous les points du corps. Jusqu’à présent, les éponges paraissent consister uniquement en une sorte de vernis demi-fluide, partout homogène et revêtant d’une couche mince la charpente cornée plus ou moins solide employée dans les arts. Ce vernis est réellement l’animal ; l’éponge usuelle en est, pour ainsi dire, le squelette. Les amibes, plus simples encore, semblent n’être qu’une goutte de ce vernis vivant doué de locomotion, mais n’ayant pas même de forme déterminée. Sous le verre du microscope, on les voit glisser en masse comme une goutte d’huile qui coulerait sur le porte-objet, en présentant les